Quand les biens meubles deviennent des parties du bien immobilier
Évaluation immobilière au Canada
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Par John Shevchuk, C.Arb, AACI(Hon)
Membre bénévole, sous-comité des appels, avocat-procureur
Dans la vente de biens immobiliers et les arrangements entre propriétaire et locataire, des questions surviennent souvent sur la propriété des immeubles, structures et autres éléments présents sur le terrain au moment de la vente ou à la fin de la location. On se demande si un élément donné est un bien meuble ou s’il est devenu partie du bien immobilier.
Dans la cause Scott c. Filipovic[i] [Scott], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est penchée sur des revendications contradictoires de bleuetiers plantés par le locataire dans un emplacement commercial. Le propriétaire soutenait que le locataire avait abandonné le bail. Le propriétaire a repris possession des lieux et interdit au locataire de revenir pour enlever les plants de bleuets. Le locataire a poursuivi le propriétaire pour violation du bail et conversion relativement aux plants de bleuets. Le locataire arguait que le propriétaire et lui voulaient que les plants de bleuets demeurent des biens meubles et ne deviennent pas partie du terrain.
Le bail contenait une clause voulant qu’à la fin du bail, le terrain soit dégagé et replanté avec du mil. Pour le locataire, c’était la preuve que les deux parties souhaitaient que l’on considère les bleuets comme des biens meubles. La Cour d’appel en a disconvenu et elle a expliqué la loi sur les biens meubles devenant partie du bien immobilier.
La Cour d’appel s’est fondée sur la décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la cause Stack c. T. Eaton Co.[ii] [Stack], que l’on invoque depuis longtemps relativement aux facteurs à prendre en compte pour déterminer si le bien est un bien meuble et, par conséquent, un bien personnel ou s’il constitue une partie du bien immobilier. Dans la cause Stack, le litige touchait la propriété de certaines installations du magasin (tablettes fixées au mur) et des installations gazières et électriques dans un immeuble faisant l’objet d’une vente. Parlant au nom de la Cour, Meredith C.J. déclarait ce qui suit :
1) Je considère comme un principe juridique établi :
2) 1. Que les éléments non rattachés au terrain autrement que par leur propre poids ne sont pas considérés comme une partie du terrain, à moins que les circonstances montrent visiblement qu’ils ont été conçus pour en faire partie.
3) 2. Que les éléments fixés au sol, même légèrement, doivent être considérés comme des parties du terrain, à moins que les circonstances montrent visiblement qu’ils ont été conçus pour maintenir des biens meubles.
4) 3. Que les circonstances requises pour montrer qu’elles altèrent le caractère prima facie des éléments sont des circonstances montrant le degré et l’objet d’une annexion que tous peuvent observer.
5) 4. Que l’intention de la personne fixant l’élément au sol n’est matérielle que dans la mesure où l’on peut la présumer en observant le degré et l’objet de l’annexion.
6) 5. Que même les accessoires immeubles du locataire, installés pour des fins commerciales, forment une partie de la propriété foncière libre franche, avec le droit, cependant, pour le locataire, comme entre lui et son propriétaire, de les ramener à l’état de biens meubles en les détachant du sol, alors qu’ils doivent passer par un transport de propriété sur les terres comme en faisant partie, sujet à ce droit du locataire.
Les tablettes et les installations de services publics étaient réputées faire partie du terrain.
La Cour suprême du Canada a décrit « l’objet et le degré d’annexion » de la manière suivante dans la cause Haggert c. Brampton (Town) :[iii]
Pour se prononcer sur l’objet de l’annexion, on peut prendre en considération les fins pour lesquelles on utilise les lieux; et si l’on installe les éléments pour augmenter la valeur des lieux ou améliorer son utilité pour les fins qu’ils servent, et s’ils sont fixés à la propriété foncière libre, même légèrement, mais dans la mesure appropriée à l’utilisation de ces éléments et montrant une intention de les fixer non pas occasionnellement mais de façon permanente, alors tant pour le degré d’annexion que pour son objet, on peut facilement conclure que les éléments sont devenus des parties du bien immobilier…
Dans la cause Scott, la Cour d’appel soutenait que la clause du bail exigeant l’enlèvement des plantes n’était pas le type de preuve qui établit l’intention. La preuve doit être plutôt d’un type qui établit l’intention objective. La preuve doit informer les tierces parties considérant la situation de l’intention des parties dans un sens ou dans l’autre. Les facteurs énoncés dans la cause Stack fournissent la base pour déterminer si le bien est devenu un accessoire immeuble. La Cour a cité le passage suivant de la cause Anger & Honsberger: Law of Real Property :[iv]
Un bien meuble devient un accessoire immeuble par implication. Ainsi, qu’un objet soit devenu un accessoire immeuble ou non est déterminé par l’application de règles établies sur les faits de la cause plutôt que sur un accord ou un transport de propriété. Les parties peuvent déterminer entre eux leurs droits par contrat, mais cela n’affecte pas les droits des tierces parties.
À l’heure actuelle, on peut penser que, comme entre le propriétaire et le locataire dans la cause Scott, il y avait un contrat en vigueur permettant l’enlèvement des plants. La Cour d’appel soutenait que le bail ne gardait pas les plants comme biens meubles; il prévoyait seulement qu’ils retrouveraient le caractère de biens meubles à la fin du bail.
Ce qui complique la cause Scott est l’histoire de l’emplacement. Le locataire original est arrivé sur les lieux en 2007. En 2010, quand il a vendu son verger commercial à une tierce partie, le locataire original prétendait assigner le bail de 2007. En réalité, le bail empêchait l’assignation et le propriétaire a conclu un nouveau bail avec la tierce partie en 2010. Puis, le locataire original a acquis de nouveau l’entreprise de la tierce partie, en 2012, et prétendait prendre une assignation du bail de 2010. Ce dernier interdisait aussi l’assignation. La Cour prétendait que les baux avaient été rétrocédés et que de nouveaux baux avaient été conclus. Qui plus est, comme les plants de bleuets n’étaient plus des biens meubles une fois plantés, ils ne pouvaient pas être transférés séparément comme biens meubles par la tierce partie au locataire original quand il a acquis l’entreprise de nouveau.
Pour expliquer la loi, la Cour d’appel dans la cause Scott a invoqué la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans la cause Long c. Van Burgsteden[v] [Long], où les arbres et leurs systèmes racinaires étaient placés dans des paniers en treillis métallique dans l’unique but de les entreposer jusqu’à leur vente. On a pris ce fait comme une preuve objective que les parties voulaient que les arbres demeurent des biens meubles. En revanche, dans la cause Scott, les plants de bleuets ont été plantés pour faire pousser des baies, développer des systèmes racinaires et obtenir une maturité afin de faciliter la production commerciale des bleuets.
La distinction entre biens meubles et accessoires immeubles est décrite dans des centaines de causes, dont voici quelques exemples :
- La Salle Recreations Ltd. c. Canadian Camdex Investments Ltd. :[vi] moquette comme bien immobilier;
- Zellstoff Celgar Ltd. c. British Columbia :[vii] matériel de fabrication comme bien immobilier;
- Walburger c. Lindsay :[viii] maison mobile comme bien immobilier;
- Greater Sudbury (City) c. 655131 Ontario Ltd. :[ix] structures à revêtement de toile comme bien immobilier;
- Bank of Nova Scotia c. Mitz :[x] stalles de chevaux portatives fixées à des poteaux comme bien immobilier;
- dos Reis c. Ring :[xi] mur de pierres comme bien meuble;
- Shah c. 4351 Properties Ltd. :[xii] rampe d’accès comme bien immobilier;
- Alberta Agricultural Development Corp. c. Pierog :[xiii] entrepôts à céréales mobiles sur patins comme biens meubles;
- Alberta c. Hansen :[xiv] barrage comme bien immobilier;
- Royal Bank c. Sask. Telecommunications :[xv] bâtiments pour moteurs diesel comme biens meubles; et
- Edmonton (City) c. CIBC :[xvi] guichets automatiques comme biens meubles.
En résumé, trois points clés à retenir de la jurisprudence sont que : 1) si les biens meubles sont devenus des parties du bien immobilier est déterminé objectivement en examinant l’objet et le degré d’annexion;[xvii] 2) on déterminera souvent l’annexion objective en évaluant si le but de l’annexion est de mieux utiliser les biens comme des biens ou pour mieux utiliser le terrain ou le bâtiment;[xviii] et 3) le degré d’annexion sera jugé selon la « permanence
Références
[i] 2015 BCCA 409
[ii] 1902 CarswellOnt 399, [1902] O.J. No. 155
[iii] (1897) 28 S.C.R. 174, page 182; cité dans La Salle, infra.
[iv] 3e éd. (Toronto: Canada Law Book, 2006) vol. 2 à 20:20
[v] 2014 SKCA 115
[vi] (1969), 4 D.L.R. (3d) 549 (B.C.C.A.)
[vii]2014 BCCA 279
[viii] 2015 BCSC 341
[ix] 2014 ONSC 7025
[x] (1979), 27 O.R. (2d) 250 (Ont.C.A.)
[xi] (2012), 2012 CarswellBC 199 (B.C.S.C.)
[xii] (2008), 2008 CarswellBC 53 (B.C.S.C.)
[xiii] (1991), 1 Alta. L.R. (3d) 72 (Alta. C.A.)
[xiv] (2000), 33 R.P.R. (3d) 260 (Alta. C.A.)
[xv] [1985] 5 W.W.R. 333 (Sask. C.A.)
[xvi] 1992 CarswellAlta 25 (Alta. C.A.)
[xvii] Stack supra. au paragraphe 4
[xviii] La Salle supra. au paragraphe 26
Nota : Le présent article est fourni pour susciter la discussion et pour sensibiliser les professionnels à certains défis soulevés par la loi. Il ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Toute question concernant l’applicabilité des causes évoquées dans l’article à des circonstances particulières devrait être adressée à des juristes et des évaluateurs professionnels qualifiés.