Skip to the Content

Gérer la contamination

Évaluation immobilière au Canada

Rechercher dans la bibliothèque en ligne


2015 – Volume 59 – Tome 3
Gérer la contamination
Andrew H. Thalheimer, Darren S. Parker

Gérer la contamination pour l’utilisation productive, le développement et le retranchement des biens immobiliers

Par Andrew H. Thalheimer, ing, associé, directeur de la remédiation et de la maîtrise des risques, Dillon Consulting Limited, et Darren S. Parker, associé, Dillon Consulting

Développer l’évaluation impartiale et fiable d’un bien immobilier est une affaire complexe. Quand l’environnement du bien est contaminé, son évaluation peut se compliquer considérablement (p. ex. aller de la simple géométrie au calcul différentiel). Auparavant, la vie était plus facile : un bien contaminé n’avait aucune valeur – ou, plus exactement, la valeur négative potentielle due aux responsabilités environnementales mal définies. L’arithmétique était claire, les sites contaminés offraient peu d’opportunités de réaliser leur valeur et risquaient souvent d’entraîner des coûts importants. Problème résolu. Mais, les choses ont changé avec le temps et quand les sites contaminés sont traités et gérés adéquatement, on les considère maintenant comme d’excellentes occasions d’utilisation productive, de régénération, de développement et de retranchement.

Le présente article examine des façons de gérer les sites contaminés (c.-à-d. comportant des milieux environnementaux touchés) afin de profiter des opportunités de produire plus de revenus, attirer du financement, libérer des réserves financières, cesser de surveiller l’environnement, investir dans la communauté, changer les perceptions sur les biens immobiliers et vendre ceux-ci. Nous commençons par définir ce qu’est un bien immobilier contaminé. Nous décrivons ensuite le processus d’évaluation servant habituellement à caractériser les biens immobiliers contaminés, la façon dont les risques pour la santé humaine et l’environnement sont évalués, gérés et, si nécessaire, éliminés, de même que les méthodes possibles à valeur ajoutée pour faciliter la réutilisation productive et(ou) le redéveloppement d’un bien immobilier contaminé.

Le bien immobilier contaminé

Un bien immobilier contaminé est un terrain où l’on trouve une ou plusieurs matières chimiques en quantités dépassant un critère applicable, générique et numérique. D’ordinaire, la contamination résulte d’utilisations historiques du bien immobilier ou d’activités menées sur celui-ci, même si les produits chimiques contaminant le bien immobilier ont pu migrer ou être transportés de l’extérieur. En tant que sites réaménagés, les biens immobiliers contaminés sont généralement « des biens immobiliers commerciaux ou industriels abandonnés, non cultivés ou sous-utilisés » dont le redéveloppement, la réutilisation ou le retranchement sont compliqués par la présence de contaminants. Cependant, le bien immobilier contaminé n’est pas toujours un site réaménagé : par exemple, une terre agricole en jachère ayant servi de verger auparavant peut encore être touchée par les pesticides employés durant la vie du verger; un immeuble résidentiel peut être touché par les restes d’un déversement de mazout domestique; ou un nettoyeur à sec actif peut être touché par les usages passés sur le site, même si les pratiques courantes n’ont pas d’effets néfastes sur l’environnement.

Beaucoup de matières chimiques peuvent être des contaminants, selon leur quantité présente dans un milieu donné (c.-à-d. sol, eau souterraine, sédiment, eau de surface). Pour les fins de gestion, d’analyse et d’évaluation, on a regroupé les matières chimiques en catégories fondées sur leur composition et leurs propriétés, incluant, par exemple : hydrocarbures pétroliers (HP); biphényles polychlorés (BPC), métaux, matières inorganiques, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dioxines, composés organiques volatils (COV), organopesticides et composés perfluorés (CP). D’autres contaminants pouvant poser un problème comprennent l’amiante, la moisissure et la radiation.

Le critère numérique établit une référence pour indiquer si un produit chimique particulier peut présenter un risque inacceptable pour la santé humaine ou pour l’environnement dans un milieu donné. La dérivation de ces références est complexe, mais repose sur des considérations toxicologiques, physiologiques et autres propres à chaque site. Les gouvernements fédéral et provinciaux élaborent et(ou) adoptent des références génériques fondées sur la science actuelle et qui peuvent changer au fil du temps. Si l’on détecte des quantités dépassant le critère générique, le bien immobilier sera réputé contaminé; pourtant, comme nous l’expliquons plus bas, cela prend une évaluation plus poussée pour conclure s’il existe un risque inacceptable et qu’il faut le gérer ou y remédier. L’applicabilité des références obtenues par les gouvernements fédéral et provinciaux dépend surtout du propriétaire et de l’emplacement du bien immobilier; toutefois, d’autres facteurs peuvent influencer l’applicabilité d’un critère spécifique.

La définition du problème

Pour bien considérer les répercussions possibles de la contamination sur l’évaluation d’un bien immobilier, il faut connaître la nature et l’étendue de cette contamination. Malheureusement, comme si on essayait d’estimer la valeur d’une maison sans même la visiter, caractériser la nature et l’étendue d’une contamination en sous-surface (c.-à-d. quels contaminants, en quelles quantités et où ?) pose un défi. Cette caractérisation, qui relève à la fois de l’art et de la science, repose sur des connaissances incomplètes, sur l’extrapolation entre des emplacements échantillonnés et sur des hypothèses sur le sort et le transport des contaminants, tout cela déterminé avec un modèle de site conceptuel (MSC) élaboré à partir des données disponibles, de l’expérience acquise et du jugement professionnel.

Un des éléments critiques dans la définition du problème consiste à dégager le critère de référence applicable. Comme nous l’avons déjà expliqué, les critères de référence dépendent en général de l’utilisation des terres (p. ex. agriculture, forêt-parc, résidentiel, commercial, industriel), du moyen d’alimentation en eau (c.-à-d. puits privés, approvisionnement en eau des villes, zones de protection d’eau de source) et du type de sol (c.-à-d. sol à grains fins ou grossiers, sous-sol rocheux). Les critères peuvent changer considérablement selon l’utilisation des terres, alors qu’il faut absolument penser à leur utilisation future pour prévoir l’existence d’un problème ainsi que sa nature et sa gravité. Si l’utilisation future possible du terrain devait être plus restrictive (p. ex. passer de l’utilisation industrielle à résidentielle), la nature et l’étendue de la contamination pourraient être beaucoup plus importantes. En revanche, on pourrait considérer un bien immobilier comme contaminé pour son utilisation résidentielle, mais pas pour son utilisation commerciale ou industrielle.

Les phases d’évaluation environnementale de site

Pour mesurer le degré de contamination d’un bien immobilier, le cas échéant, on suit généralement les normes de l’industrie, comme ces deux normes de l’Association canadienne de normalisation (ACN) : Z769-01 (R2012) – Évaluation environnementale de site (EES) phase I et Z769-00 (R2013) – EES phase II pour : a) identifier les sources potentielles, la nature et les indices possibles de contamination; b) confirmer la présence et le type de contamination; et c) délimiter l’étendue de la contamination. Certains gouvernements (p. ex. le ministère de l’Environnement de l’Ontario avec le Règlement de l’Ontario 153/04) ont des exigences particulières qui diffèrent du cadre normatif de l’ACN. Quoi qu’il en soit, on effectue habituellement une EES phase I par mesure de diligence raisonnable afin d’examiner si les utilisations actuelles ou historiques du bien immobilier – ou de biens immobiliers adjacents/voisins – ont pu y apporter des contaminants. L’EES phase I consiste d’ordinaire à examiner les documents disponibles (p. ex. cartes d’assurance-incendie, cartes géologiques, bilans environnementaux antérieurs, photographies aériennes et dossiers sur les puits forés, les services publics souterrains et le zonage municipal) visant les activités menées sur le bien immobilier ou à proximité, à visiter le site, à interroger des personnes connaissant les activités actuelles et passées sur le site et à consulter des rapports. Si l’on devait identifier une source possible de contamination ou observer une contamination potentielle durant la reconnaissance du site, il faudrait faire une évaluation plus approfondie avec une EES phase II. Cette évaluation requiert généralement un échantillonnage intrusif de plusieurs milieux (p. ex. excavation de puits d’essai, avancement de puits de forage, surveillance de l’installation de puits) et une analyse en laboratoire pour caractériser la nature et l’étendue de la contamination en sous-surface. Ajoutant à l’avancement de puits de forage et au prélèvement d’échantillons traditionnels, les technologies d’évaluation novatrices telles le géoradar, la fluorescence induite par laser, la sonde d’interface des membranes et autres technologies semblables sont de plus en plus courantes. L’EES phase II est complétée quand on connaît la nature de la contamination (c.-à-d. le type, le volume, les concentrations et l’origine) ainsi que son étendue horizontale et verticale par rapport au critère de référence générique applicable à chaque milieu touché.

Durant l’EES phase II, on développe un MSC (périodiquement révisé avec de nouvelles données et informations) afin de comprendre le sort et le transport des contaminants et, par la suite, soutenir la gestion du risque et la remédiation.

L’identification du risque

La présence de contamination ne signifie pas nécessairement qu’il y a un risque inacceptable, ni qu’une remédiation est requise pour un bien immobilier contaminé. Souvent négligée, la phase d’évaluation du risque (c.-à-d. évaluation du risque pour la santé humaine et l’environnement) est l’une des plus importantes phases dans la gestion de la contamination d’un bien immobilier. L’évaluation du risque montrera, dans un premier temps, si les contaminants identifiés et leurs quantités posent un risque inacceptable aux récepteurs potentiels et, dans un deuxième temps, les voies d’exposition qui relient le contaminant à un récepteur. Les voies d’exposition considérées dans l’évaluation du risque pour la santé humaine comprennent : contact avec la peau; ingestion; inhalation; migration des vapeurs d’eau souterraine jusqu’à l’air intérieur; et lessivage du sol dans l’eau souterraine. S’il n’y a pas de récepteur ou si la voie entre contaminant et récepteur est incomplète (p. ex. le contaminant du sol posant un risque de contact direct est pavé d’asphalte), il n’y aura aucun risque. L’évaluation du risque permettra de dégager les facteurs propres à chaque voie d’exposition sur le site qui ne sont pas prévus par le critère de référence générique et d’analyser les risques cancérigènes et non-cancérigènes des contaminants identifiés par l’EES phase II. En dernier ressort, l’évaluation du risque déterminera si l’on est en présence d’un risque inacceptable ainsi que les niveaux de contrôle du risque et les critères de remédiation appropriés au site.

La gestion du risque

Seule la présence d’un risque inacceptable nécessite sa gestion. Le cas échéant, la gestion du risque peut inclure : a) éliminer la source (c.-à-d. la contamination); b) restaurer le milieu touché; c) appliquer des mesures techniques ou institutionnelles/administratives; ou d) une combinaison des trois. Parfois, l’élimination de la source est rapide, facile et relativement peu coûteuse. Mais, elle est souvent complexe et prend beaucoup de temps, elle coûte cher ou se révèle techniquement irréalisable. Dans ces derniers cas, on gère les risques inacceptables par la remédiation et(ou) par des mesures techniques/administratives.

Les méthodes de remédiation sont identifiées et développées selon divers facteurs propres à chaque site, y compris :

géologie (c.-à-d. nature du sol [grains fins ou grossiers], sous-sol rocheux);

hydrogéologie;

nature, étendue, emplacement et accessibilité à la contamination;

moteurs de risque et voies d’exposition;

temps disponible; et

utilisation future des terres et plans de redéveloppement.

Les méthodes de remédiation peuvent comprendre, pour en nommer quelques-unes : excavation; oxydation chimique in situ; biorestauration améliorée in situ; extraction à la vapeur en phases multiples; pompage et traitement d’eau souterraine; chauffage thermique; biopiles; lavage du sol ex situ; ou diverses méthodes de confinement (p. ex. recouvrement). En présence de contaminants plus résistants ou de plusieurs contaminants disparates, la remédiation globale peut nécessiter plus d’une méthode.

Les mesures techniques et institutionnelles (ou administratives) sont souvent une façon économique d’éliminer les risques inacceptables courants, alors qu’elles sont également très efficaces et intégrées dans les plans de redéveloppement futur. L’application ciblée de mesures techniques ou institutionnelles à une voie d’exposition active (c.-à-d. complète) peut éliminer efficacement le risque en empêchant un récepteur d’être exposé à un contaminant. Les mesures techniques peuvent inclure : revêtement de sol en asphalte; construction de bâtiments; construction de plancher-dalles, pare-vapeur; ou zonage commercial au rez-de-chaussée. De leur côté, les mesures institutionnelles peuvent inclure : changement de zonage pour être moins restrictif sur le plan environnemental; restrictions sur l’utilisation des terres (p. ex. zones sans construction ou forage de puits); et(ou) planification de site et de redéveloppement.

Quelques considérations sur l’évaluation

Comme beaucoup de variables peuvent augmenter les coûts d’évaluation et de remédiation et fluctuer à différents degrés, nous serions mal avisés de suggérer des coûts généraux. Toutefois, dans le spectre de gestion des sites contaminés, la remédiation coûte d’habitude plus cher que l’évaluation – certains  affirment que dépenser 10 $ en évaluation vous épargnera au moins 100 $ en remédiation.

Pendant le traitement d’un bien immobilier contaminé, on se forme fréquemment une opinion sur les coûts avec le MSC, qui se précisent et s’actualisent à mesure que les nouvelles données deviennent disponibles, que l’on évalue les options de remédiation et que les concepts de remédiation sont préparés et soumissionnés. L’élaboration de ces coûts peut être utile pour comprendre les répercussions financières du traitement de la contamination elle-même (c.-à-d. suivre la méthode traditionnelle de restauration du bien immobilier d’abord, puis le redévelopper plus tard), mais la véritable valeur du bien immobilier apparaîtra seulement en dressant le portrait entier du site à travers le plan futur du propriétaire. Plusieurs études de cas disponibles démontrent qu’en intégrant avec succès la remédiation et la gestion du risque dans le plan de redéveloppement, on peut réduire considérablement le coût global du projet. Les évaluateurs de biens immobiliers qui tentent de dégager les répercussions possibles des coûts associés à un bien immobilier contaminé devraient travailler avec un professionnel qualifié en évaluation environnementale de site pour déterminer comment, en connaissant la nature et l’étendue de la contamination, on pourra appliquer efficacement les mesures de gestion du risque et de remédiation.

Le professionnel qualifié en évaluation environnementale de site

Étant donné la nature de l’évaluation des sites contaminés, plusieurs provinces exigent de ceux qui font ce travail qu’ils possèdent les qualifications requises et, dans certains cas, qu’ils soient spécifiquement désignés à cet effet (p. ex. professionnel agréé pour sites contaminés en Colombie-Britannique et professionnel qualifié en Ontario). La plupart des gouvernements requièrent que les EES soient menées ou supervisées par un ingénieur, un géoscientifique ou, dans certaines situations, un biologiste. Les professionnels autorisés et désignés pour mener et superviser une évaluation de site contaminé et des travaux de remédiation doivent répondre à des exigences spécifiques et pertinentes relativement aux études et à l’expérience, en plus de démontrer des pratiques conformes à la déontologie et de respecter la norme de diligence au sein de l’industrie.

Pour nous résumer

Un bien immobilier touché par la contamination peut efficacement se gérer pour son utilisation productive, son développement, sa régénération et son retranchement. Les phases d’évaluation environnementale de site définissent la nature et l’étendue de la contamination et caractérisent les conditions du site pour que l’on puisse dégager les facteurs qui influencent le risque et la remédiation. On évalue les risques pour la santé humaine et pour les récepteurs écologiques et, si des risques inacceptables existent, la gestion de risque appropriée comportant la remédiation et(ou) des mesures techniques ou administratives servira à gérer la contamination sur le bien immobilier.

Alors que l’approche traditionnelle consistait à restaurer d’abord et redévelopper plus tard, plusieurs études de cas démontrent que l’intégration des mesures de gestion de risque dans le redéveloppement et l’utilisation future offre potentiellement d’importantes économies. L’évaluation immobilière sur des sites contaminés n’est pas un jeu à somme nulle, et la valeur d’intégrer des initiatives de remédiation dans le redéveloppement amène une complexité supplémentaire (mais vitale) à l’évaluation immobilière. Travailler avec un professionnel qualifié en évaluation environnementale de site est critique pour un évaluateur immobilier s’il espère estimer avec compétence la valeur d’un bien immobilier contaminé.