Le visage changeant de l’évaluation de l’immobilier commercial
Évaluation immobilière au Canada
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Le visage changeant de l’évaluation de l’immobilier commercial
Le changement dans notre profession est inévitable et constant. En fait, le rythme du changement s’est accéléré si rapidement ces dernières années qu’il peut être difficile pour les évaluateurs de rester à jour et de s’assurer que les services qu’ils offrent correspondent aux dernières demandes du marché. Comme si ces défis ne suffisaient pas, lorsqu’un événement mondial tel que la pandémie COVID-19 vient brouiller les cartes, les ajustements que les évaluateurs doivent apporter sont encore plus importants.
Dans le cas de l’évaluation de biens immobiliers commerciaux, la COVID-19 a changé la profession encore plus rapidement. Oliver Tighe, AACI, P. App., directeur exécutif de Colliers International à Ottawa, est en première ligne du secteur de l’immobilier commercial. Dans l’interview qui suit, il nous fait part de ses réflexions sur les répercussions de la COVID-19 sur le secteur.
Q. Quels sont les changements les plus importants dans l’évaluation de l’immobilier commercial depuis l’avènement de la COVID-19?
Oliver Tighe. À mon avis, trois domaines se dégagent. Le premier est la disponibilité, ou l’absence de disponibilité, de données récentes et précises sur les ventes. Deuxièmement, l’accélération drastique de nombreuses tendances immobilières antérieures à la COVID. Et troisièmement, la probabilité accrue que les actifs immobiliers commerciaux commencent à être utilisés de manière totalement nouvelle.
En ce qui concerne les données de vente, avant la COVID, nous pouvions facilement accéder à des données récentes qui étaient pertinentes et comparables aux propriétés que nous évaluions. Après l’arrivée de la COVID, la plupart des transactions ont été interrompues et celles qui ont eu lieu ont été touchées de différentes manières par la pandémie. En conséquence, les données récentes et comparables sur les ventes sont rares, ce qui a rendu l’évaluation beaucoup plus difficile. Nous devons être beaucoup plus critiques à l’égard de tous les attributs d’un bien, car aujourd’hui plus que jamais, il n’y a pas deux biens identiques.
En ce qui concerne les tendances du marché, la pandémie a eu pour conséquence que ces tendances se développent maintenant en quelques semaines ou mois plutôt qu’en quelques années. Par exemple, le déclin des commerces à grande distribution et l’émergence des achats en ligne sont passés d’un lent changement à un revirement complet. Au cours des huit derniers mois, près de 1 000 magasins de détail ont fermé ou sont sur le point de fermer définitivement au Canada.
Je m’attends également à ce que la façon dont les bureaux sont utilisés change radicalement. La demande d’espaces de bureaux a diminué dans tout le pays. J’ai récemment examiné les Rapports sur le marché des bureaux de Colliers pour le troisième trimestre et j’ai constaté que la disponibilité des bureaux a augmenté à partir du deuxième trimestre dans tous les grands marchés du Canada et qu’il y a eu une augmentation notable de l’espace de sous-location dans la plupart des grands marchés. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un impact à court terme de la COVID, mais plutôt du début d’une tendance à long terme de réduction de la demande d’espaces de bureaux. Il sera de plus en plus compétitif de trouver des locataires de bureaux et je m’attends à ce que, dans les années à venir, davantage d’immeubles de bureaux offrent des espaces clés en main à des taux de location bruts fixes sans engagement à long terme. Pour l’essentiel, les propriétaires d’immeubles vont devoir être plus flexibles dans la manière dont ils louent des espaces aux locataires s’ils veulent rester compétitifs.
Du point de vue du commerce de détail, je m’attends également à ce que le pourcentage de contrats de location-vente soit beaucoup plus important dans les années à venir. Historiquement, le pourcentage de contrats de location-vente ne concernait généralement que les grands centres commerciaux couverts, mais comme le taux d’inoccupation des commerces de détail continue d’augmenter, je m’attends à ce que les propriétaires commencent à proposer un pourcentage de contrats de location-vente afin d’attirer de nouveaux locataires et des locataires en expansion. Cela permet au locataire de bénéficier d’un loyer initial moins élevé lorsque son entreprise se développe, mais aussi au propriétaire de bénéficier d’un taux de location plus élevé si l’entreprise connaît le succès. Par conséquent, en tant qu’évaluateurs, nous devrons nous adapter à l’évaluation de bâtiments qui ne sont pas nécessairement utilisés ou loués de la même manière qu’ils l’ont été historiquement.
Q. Pensez-vous que certains ou tous ces changements seront à court terme ou plus permanents?
O.T. Le changement a toujours été un facteur dans le secteur de l’immobilier commercial en constante évolution, bien qu’à un rythme un peu plus lent avant la pandémie. Aujourd’hui, les changements se produisent très rapidement et je pense que la plupart d’entre eux sont là pour rester. Par exemple, je doute que la vente au détail en grandes surfaces redevienne un jour ce qu’elle était. De même, de nombreux employés travailleront désormais à distance et ne retourneront plus jamais au bureau. Je m’attends également à ce que les bureaux soient restructurés ou reconfigurés d’une manière que nous n’avons jamais vue auparavant.
Malgré tous ces changements, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une catastrophe. Toutes les entreprises n’abandonneront pas leur espace ou leur structure de bureaux, et les grandes propriétés immobilières de classe A, qui ont tendance à avoir des baux à long terme avec leurs locataires, auront le temps de s’adapter à notre nouvelle réalité en constante évolution. Quel que soit le scénario, je pense que les propriétaires trouveront des moyens d’évoluer, de sorte que, même si le marché de l’immobilier commercial ne sera peut-être jamais le même, il survivra et s’épanouira de manière nouvelle et passionnante.
Q. Quels sont les plus grands risques et les plus grandes opportunités pour Colliers dans ce marché en évolution?
O.T. Heureusement, bien avant la COVID, Colliers International a eu la prévoyance de comprendre l’impact de la technologie sur la profession et de s’adapter en conséquence. Nous avions mis en place une plate-forme technologique entièrement nouvelle, qui comprend un logiciel d’aide à la rédaction de rapports, une base de données de vente sur Internet et un système de gestion de fichiers dans le nuage. Lorsque le verrouillage de la COVID a commencé, nous n’avons pas manqué une seule mesure. Notre personnel a pu remplir un dossier depuis son sous-sol aussi facilement que depuis son bureau, et cette façon de mener nos affaires va probablement continuer à l’avenir. Étant bien placés pour relever ce genre de défis, nous pensons qu’il existe de nombreuses possibilités de développer nos activités à l’avenir.
Q. Comment ces changements affectent-ils la profession et les évaluateurs individuels?
O.T. L’évolution rapide du monde de la haute technologie d’aujourd’hui comporte certainement de nombreux risques pour tous les évaluateurs. Le marché et nos clients exigent des évaluations moins coûteuses et plus rapides. Il existe plusieurs plateformes d’évaluation par intelligence artificielle et plusieurs entreprises qui travaillent à la création de logiciels permettant d’estimer des valeurs à l’aide d’un ordinateur. Comme ces développements ne feront que s’intensifier, les évaluateurs doivent relever ces défis de plein front afin de non seulement survivre, mais de s’épanouir.
Je crois fermement que les évaluateurs qui sont prêts à adopter les nouvelles technologies et à repenser leurs processus peuvent effectivement avoir un brillant avenir. L’essentiel est de choisir une direction, de la suivre et d’être prêt à accepter la douleur initiale pour le gain à long terme. J’entends par là être prêt à consacrer le temps et l’argent nécessaires pour se mettre en position de produire des évaluations plus rapides et de meilleure qualité, et ce, où que l’on se trouve (y compris à la maison). Le monde dans lequel nous vivons ne va pas revenir à ce qu’il était, il est donc temps de s’y adapter.
Q. Que peuvent faire les évaluateurs pour « s’y adapter », comme vous dites ?
O.T. Cessez d’abord d’avoir peur du changement. Parlez à d’autres évaluateurs pour voir ce qu’ils font. Recherchez les séminaires, webcasts, blogs et autres ressources qui peuvent vous fournir les connaissances dont vous aurez besoin dans ces domaines. Trouvez des entreprises et des consultants tiers qui peuvent travailler avec vous pour mettre en œuvre des outils et des stratégies tels que les fichiers dans le nuage, les systèmes de fichiers en ligne et les logiciels de rédaction de rapports. Les ressources sont là… vous devez vous engager à les utiliser et à les mettre en œuvre.
Q. Colliers International emploie de nombreux évaluateurs. Compte tenu des défis et des possibilités dont nous avons parlé ici, recherchez-vous des évaluateurs possédant un certain ensemble de compétences?
O.T. Plutôt que de chercher un ensemble de compétences spécifiques, notre objectif est d’embaucher des personnes qui correspondent à la culture de notre groupe. Nous voulons des évaluateurs qui s’adaptent et sont prêts à apprendre, des personnes qui prendront le temps et feront l’effort de comprendre les processus et de les mettre en pratique pour le bénéfice de nos clients et de notre entreprise. Qu’il s’agisse de traverser cette pandémie ou d’aller de l’avant une fois qu’elle sera terminée, cette perspective et cette approche sont essentielles à la réussite.
Q. Avez-vous un dernier conseil à donner aux évaluateurs qui se sentent peut-être dépassés par l’environnement actuel du marché?
O.T. Permettez-moi de souligner à nouveau que je crois qu’il y a encore un très bel avenir pour les membres de notre profession, si nous continuons à nous adapter. Si les clients attendent de nous que nous fournissions nos services plus rapidement, il y aura toujours une grande demande pour un service personnalisé, une fiabilité et un produit de qualité. J’ai le sentiment que, pour l’essentiel, les frais d’évaluation se sont stabilisés dans le domaine de l’immobilier commercial. Plutôt que de chercher des moyens de réduire ces frais, le défi sera de fournir le même produit haut de gamme beaucoup plus rapidement. L’époque où l’on disposait de 4 à 6 semaines pour effectuer une évaluation sera bientôt révolue, de sorte que l’utilisation de la technologie est indispensable pour répondre efficacement aux attentes et aux demandes du marché. Les coûts engagés et le temps passé à s’adapter aux nouvelles technologies seront plus que rentabilisés à l’avenir. En termes simples, faire le même travail en moins de temps ne fera qu’augmenter la rentabilité de l’évaluateur. Il est temps de s’adapter.