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Exigence de la ‹ bonne foi › d’un évaluateur Partie 1 – La bonne foi contractuelle

Évaluation immobilière au Canada

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2015 – Volume 59 – Tome 2
Exigence de la ‹ bonne foi › d’un évaluateur Partie 1 – La bonne foi contractuelle
John Shevchuk

Par John Shevchuk, Avocat-procureur, C.Arb, AACI(Hon)

Introduction

Agir de ‹ bonne foi › est une condition pour appartenir à l’Institut canadien des évaluateurs (ICE), qui est énoncée dans chacun de ses documents constitutifs. Le Code de conduite de l’ICE prévoit, entre autres, ce qui suit :

Les membres de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) s’engagent à se conduire d’une manière qui ne portera pas préjudice au public, à l’ICE ou à ses membres, ou à la profession d’évaluateur immobilier. Les relations des membres avec d’autres membres, avec l’ICE et avec le public doivent être marquées par la courtoisie et la bonne foi, en plus de respecter l’ICE et ses procédures. [Accent ajouté]

Le paragraphe 5.1.2 des Règlements consolidés et la Règle 4.1 de la Norme relative aux questions d’éthique de l’ICE ont un libellé similaire.

Que signifie le terme ‹ bonne foi › ? Le Paperback Oxford English Dictionary le définit comme « n. intention honnête ou sincère ». De son côté, le Barron’s Canadian Law Dictionary donne comme définition « Un standard supposant l’absence d’une intention d’exploiter ou escroquer une autre partie; absence de motif secret… Pour agir de bonne foi, on doit agir de façon ouverte, juste et honnête… »

Quels indices montrent que l’on agit de ‹ bonne foi › ? Beaucoup de membres de l’ICE, en plus d’être des évaluateurs, dirigent des entreprises ou se livrent à des activités commerciales dans des secteurs autres que l’évaluation. Les exigences relatives à la ‹ bonne foi › changent-elles avec les circonstances ? Suivez-vous un standard dans votre travail d’évaluateur et un standard différent dans vos autres activités ?

Le présent article est la première de deux parties. Dans celle-ci, nous examinerons une décision récente rendue par la Cour suprême du Canada afin de présenter quelques notions décrivant les exigences sur la ‹ bonne foi ›. La cause vise un contrat, alors que la Cour débat le concept de ‹ bonne foi › dans les relations commerciales. La seconde partie, à venir dans un prochain article de la présente publication, s’appuiera sur cette cause pour explorer les façons dont le devoir de bonne foi d’un évaluateur pourrait varier du devoir de bonne foi dans un contexte strictement commercial.

La bonne foi en contexte commercial – Bhasin c. Hrynew

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que jusqu’à tout récemment, le droit canadien n’avait pas encore établi qu’il existe, ou devrait exister, un principe généralisé de bonne foi dans l’exécution des contrats. Certaines catégories spécifiques de contrats (emploi, assurance, franchisage, soumission de construction) ont été des exceptions, mais en dépit des tentatives répétées de divers demandeurs devant nos tribunaux, un principe généralement appliqué de la bonne foi n’a pas été universellement adopté. La décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Bhasin c. Hrynew 2014 SCC 71 [Bhasin] change tout cela.

Les éléments factuels

Dans la cause Bhasin, M. Bhasin, par l’entremise de sa compagnie Bhasin & Associates, a vendu des régimes d’épargne-études (REE) en qualité de ‹ directeur des inscriptions › pour le compte de l’intimée, Canadian American Financial Corp. (Can-Am). Durant une période d’environ 10 ans, M. Bhasin a augmenté son personnel commercial, qui a vendu des REE avec beaucoup de succès.

En 1989, M. Bhasin a signé un contrat de remplacement avec Can-Am contenant une clause prévoyant le renouvellement automatique à la fin d’une période de trois ans, à moins que l’une des parties donne un avis écrit de six mois indiquant que l’entente ne serait pas renouvelée.

En même temps, Can-Am avait aussi une entente avec l’intimé M. Hrynew, qui réussissait également à vendre beaucoup de REE comme directeur des inscriptions, ayant à l’époque la plus grosse agence en Alberta et une bonne relation de travail avec la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta (la Commission). Le procès a révélé que ces deux circonstances mettaient M. Hrynew en position de force devant Can-Am. M. Hrynew et M. Bhasin étaient des concurrents qui ne s’entendaient pas. M. Hrynew avait proposé une fusion avec M. Bhasin à plusieurs reprises et comme M. Bhasin continuait à rejeter les invitations de M. Hrynew, ce dernier a demandé à Can-Am d’imposer la fusion à M. Bhasin.

Can-Am a rencontré des problèmes de conformité du directeur des inscriptions avec la Commission et a dû nommer un négociant provincial unique pour examiner la conformité des directeurs des inscriptions. Can-Am a nommé M. Hrynew, ce qui a permis à ce dernier d’auditer tous les directeurs des inscriptions, incluant M. Bhasin. Celui-ci s’objectait à ce que son concurrent examine ses documents opérationnels confidentiels. Le juge de première instance a statué que Can-Am avait induit M. Bhasin en erreur de façon répétée en lui disant que M. Hrynew était tenu de traiter ses documents opérationnels comme étant confidentiels et que la Commission avait refusé de permettre à une tierce personne d’effectuer les audits du directeur des inscriptions. Doutant peut-être de ce que Can-Am lui disait, M. Bhasin a refusé de laisser M. Hrynew examiner ses documents. Can-Am a menacé de résilier l’entente de M. Bhasin et, au mois de mai 2001, a donné un avis de non-renouvellement.

Lorsque l’entente de M. Bhasin avec Can-Am n’a pas été renouvelée, M. Bhasin a perdu son personnel commercial, dont la majorité est allé travailler pour M. Hrynew. M. Bhasin a dû faire du travail moins profitable avec un concurrent de Can-Am.

Pendant que M. Bhasin résistait à la divulgation à M. Hrynew, plusieurs activités parallèles se déroulaient. Au mois de juin 2000, en partie pour apaiser les inquiétudes de la Commission, Can-Am a élaboré une restructuration de ses agences en Alberta. Le plan prévoyait que M. Bhasin travaillerait pour l’agence de M. Hrynew. M. Bhasin ignorait tout des plans de restructuration et quand M. Bhasin a demandé si la fusion était « un fait accompli », Can-Am ne l’a pas avoué.

Suite au non-renouvellement, M. Bhasin a poursuivi Can-Am et M. Hrynew, alléguant qu’il existait une clause implicite de bonne foi que Can-Am avait enfreinte, que M. Hrynew avait incité à rompre son contrat et que Can-Am et M. Hrynew étaient coupables de complot civil envers lui. [À la fin, les allégations d’incitation à rompre son contrat et de complot civil ont été rejetées et n’ont pas besoin d’être évoquées pour les fins du présent article.]

Les décisions de la cour de première instance et de la cour d’appel

La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a statué que le contrat comportait une clause implicite à l’effet que les décisions touchant le renouvellement ou le non-renouvellement de l’entente de M. Bhasin seraient prises de bonne foi et que Can-Am avait enfreint la clause de bonne foi. En particulier, la cour était d’avis que durant la période menant au non-renouvellement, Can-Am avait induit M. Bhasin en erreur au sujet de ses intentions de fusion et de la nouvelle structure proposée à la Commission et n’avait pas fait savoir que ses décisions sur la restructuration et la fusion étaient définitives, que Can-Am travaillait étroitement avec M. Hrynew et que Can-Am prévoyait que M. Bhasin travaillerait avec M. Hrynew. La cour de première instance concluait que si Can-Am avait agi honnêtement, M. Bhasin aurait pu prendre les mesures appropriées pour préserver la valeur de son entreprise.

Lors d’un appel fait à la Cour d’appel de l’Alberta, la décision de la cour de première instance a été infirmée pour le motif que le juge de première instance avait erré en supposant une clause de bonne foi dans l’entente, à la lumière de la clause voulant que les clauses expresses constituaient toute l’entente.

La décision de la Cour suprême du Canada1

M. Bhasin en a appelé à la Cour suprême du Canada, alléguant qu’un devoir général de bonne foi dans un contrat devrait être reconnu dans le droit canadien ou, à tout le moins, la cour devrait reconnaître un devoir d’exécution honnête des obligations contractuelles.

La Cour suprême du Canada était d’accord avec M. Bhasin qu’un devoir de common law s’applique à tous les contrats, alors qu’on est tenu d’agir honnêtement en exécutant des obligations contractuelles2. La cour disait que la reconnaissance de cette exigence est dictée par la nécessité d’éliminer l’incertitude qui existe dans le droit canadien, de permettre une approche plus cohérente dans l’application de l’exigence de bonne foi et d’harmoniser la loi avec les attentes des parties commerciales.3

Le juge Cromwell, écrivant pour la cour, soutenait le besoin d’un principe directeur général de bonne foi et d’une obligation d’être honnête dans l’exécution d’obligations contractuelles, avec ce passage :

Les parties commerciales s’attendent raisonnablement dans leurs opérations contractuelles à un niveau minimal d’honnêteté et de bonne foi. Bien qu’elles n’entretiennent aucun lien de dépendance et ne soient pas assujetties à des obligations de nature fiduciaire, un niveau minimal de conduite honnête est nécessaire à la bonne conduite des affaires. L’augmentation du nombre des contrats relationnels à long terme fondés sur un élément de confiance et de coopération exige manifestement un apport d’honnêteté sur le plan de l’exécution, alors que même dans les échanges transactionnels, la tromperie et une conduite dolosive seraient contraires aux attentes des parties…4

En décidant si un nouveau devoir d’honnêteté est requis dans l’exécution des obligations contractuelles, le juge Cromwell a observé que la conduite de Can-Am ne correspondait à aucune des situations ou relations pour lesquelles la loi impose un devoir de bonne foi. La cour notait que, historiquement, la décision de ne pas renouveler un contrat était discrétionnaire et pouvait être prise librement par une partie au contrat.5 Le juge a écrit qu’un nouveau devoir de common law est nécessaire :6

[73]     … Je conclurais qu’il existe une obligation générale d’honnêteté applicable à l’exécution des contrats. Ce qui signifie simplement que les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat. Cette obligation n’impose pas un devoir de loyauté ou de divulgation ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat; il s’agit d’une simple exigence faite à une partie de ne pas mentir à l’autre partie ni de la tromper au sujet de l’exécution de ses obligations contractuelles. La reconnaissance d’une obligation d’exécution honnête découlant directement du principe directeur de bonne foi en common law se veut une étape modeste élaborée de façon progressive. L’exigence d’agir honnêtement constitue l’un des aspects les plus largement reconnus du principe directeur de la bonne foi…

[74]     … À ce stade-ci, je m’intéresse uniquement à une nouvelle obligation d’exécution honnête qui, à mon avis, devrait être considérée non pas comme une condition implicite, mais comme une doctrine générale du droit des contrats imposant, à titre d’obligation contractuelle, une norme minimale d’exécution honnête du contrat. Cette obligation trouve application sans égard aux intentions des parties…

Dans le prochain article, nous étudierons les situations où la ‹ bonne foi › impose effectivement un devoir de divulguer ou de renoncer à des avantages découlant de la relation entre les parties, que ce soit contractuellement ou autrement.

En réponse à l’argument voulant que l’imposition du devoir en common law d’exécuter honnêtement les obligations contractuelles interfère avec l’adhérence traditionnelle à la notion de liberté contractuelle, le juge Cromwell écrivait qu’il y a peu d’interférence, «… puisque les parties ne s’attendent que très peu souvent à ce que leurs contrats les autorisent à exécuter leurs obligations de façon malhonnête ».7

Mais le juge Cromwell a pris soin d’expliquer que le nouveau devoir a ses limites : « L’obligation d’exécution honnête que je propose ne devrait pas être confondue avec l’obligation de divulgation ni avec celle de loyauté qui incombe au fiduciaire. Une partie contractante n’est pas généralement tenue de subordonner ses intérêts à ceux de l’autre partie. »8 Ce commentaire laisse voir immédiatement que dans le futur, des cas viendront tester les limites de cette nouvelle obligation.

Dans la cause Bhasin, la loi de la bonne foi dans les relations contractuelles commerciales se résumait ainsi :9

(1) Il existe un principe directeur général de bonne foi sous-jacent à de nombreux aspects du droit des contrats.

(2) De façon générale, il est possible de dégager les incidences particulières de l’application du principe général à des cas précis en s’appuyant sur l’ensemble de la doctrine qui a été élaborée et qui donne effet aux aspects de ce principe dans des types particuliers de situations et de relations.

(3) Il convient de reconnaître une nouvelle obligation en common law qui s’applique à tous les contrats en tant que manifestation du principe directeur général de bonne foi : une obligation d’exécution honnête qui oblige les parties à faire preuve d’honnêteté l’une envers l’autre dans le cadre de l’exécution de leurs obligations contractuelles.

La Cour suprême du Canada n’a trouvé aucun motif d’infirmer la décision du juge de première instance à l’effet que Can-Am a été malhonnête avec M. Bhasin en exerçant la clause de non-renouvellement et, par conséquent, il en a résulté que Can-Am a manqué à son devoir d’exécuter l’entente honnêtement. Des dommages-intérêts ont été accordés selon la valeur de l’entreprise à l’expiration du contrat, car on a constaté que M. Bhasin aurait pu conserver la valeur de son entreprise plutôt que la voir effectivement perdue aux mains de M. Hrynew.

En conclusion

La décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Bhasin a été prise en considération par des tribunaux canadiens pas moins de 35 fois dans une variété de contextes. Aucun jusqu’ici n’a visé les exigences de bonne foi dans un contrat entre un professionnel (p. ex. un évaluateur) et son client, ou encore entre un évaluateur et ses relations d’affaires.

Toutefois, ce que l’on peut voir pour l’avenir, c’est que dans toute relation contractuelle commerciale existe une obligation d’être honnête, qui peut aller aussi loin que l’interdiction de se conduire d’une manière qui porterait atteinte aux attentes commerciales raisonnables des parties au contrat.

Le prochain article traitera de la façon dont ce nouveau devoir s’harmonise avec l’obligation des membres de l’ICE en vertu du Code de conduite, des Règlements consolidés et des NUPPEC.

Le présent article veut susciter la discussion et montrer l’évolution de la loi aux évaluateurs professionnels. Il ne doit pas servir d’avis juridique. Les questions que soulève l’article dans des circonstances particulières devraient être adressées à des gens de loi et des évaluateurs qualifiés.

Notes

1Bhasin v Hrynew 2011 ABQB 637; 2013 ABCA 98

2Bhasin v Hrynew 2014 SCC 71 [Bhasin], para. 33

3Bhasin, para. 41

4Bhasin, para. 60

5Bhasin, para. 72

6Bhasin, para. 73

7Bhasin, para. 76

8Bhasin, para. 86

9Bhasin, para. 93