Expropriation versus pouvoirs de police
Évaluation immobilière au Canada
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Par John Shevchuk
AACI(Hon), avocat, C.Arb, RI
Le présent article examine une décision récente rendue par la Cour suprême de Colombie-Britannique, qui nous donne un exemple de l’autorité que possède un gouvernement local de saisir les droits de propriété de propriétaires fonciers en recourant à la ‹ dédensification › sans compensation. En ce qui touche l’évaluation, comment un évaluateur peut-il composer avec ce risque toujours présent ?
Le cas qui nous intéresse est V.I.T. Estates Ltd. v. New Westminster (City), 2021 BCSC 573 [VIT]. Avant de s’y plonger, il serait utile d’établir le contexte. Les évaluateurs savent que l’intérêt en fief simple est la forme de propriété la plus complète et qu’elle est sujette à seulement quatre pouvoirs du gouvernement :[i]
- imposition;
- expropriation;
- pouvoir de police; et
- déshérence.
Le point focal ici est l’expropriation par rapport à un aspect du pouvoir de police, nommément le zonage.
L’une des longues traditions de la common law est la protection des droits privés de propriété. Une conséquence de cette tradition est la présomption de la common law voulant que lorsque le gouvernement exproprie un bien immobilier, une compensation doit être payée. Cette présomption sera réfutée seulement si une disposition spécifique existe à l’effet contraire.[ii] La compensation est accordée soit conformément à la loi sur l’expropriation, soit comme un incident d’expropriation de facto. [L’expropriation de facto requiert deux éléments : 1) l’acquisition d’un intérêt bénéficiaire dans la propriété ou découlant de celle-ci, et 2) élimination de toutes les utilisations raisonnables de la propriété.[iii]]
La législation des gouvernements locaux habilite les autorités locales à exproprier des biens immobiliers. Par exemple, en Colombie-Britannique, la Community Charter, SBC 2003, c. 26, articles 31 à 34, et la Local Government Act, RSBC 2015, c. 1, articles 289 à 292, permettent aux gouvernements locaux d’exproprier des intérêts immobiliers, avec des dispositions sur la compensation.
Faisons le contraste entre l’expropriation et l’exercice des pouvoirs de police sous la forme de zonage. Le pouvoir de police se définit ainsi :[iv]
Le pouvoir de police est le droit du gouvernement de réglementer une propriété afin de protéger la sécurité, la santé, la morale et le bien-être général du public. Des exemples de pouvoir de police comprennent les ordonnances de zonage, les restrictions d’utilisation, les codes du bâtiment, les règlements sur le trafic aérien et terrestre, les codes de santé publique et les règlements environnementaux.
On pourrait arguer, dans un cas de zonage, par exemple, que l’exercice du pouvoir de police est l’expropriation de facto exigeant que le gouvernement accorde une compensation aux propriétaires fonciers affectés. En anticipant peut-être cette possibilité, les gouvernements fournissent des mesures législatives de protection. En Colombie-Britannique, la Local Government Act, RSBC 2015, c. 1, article 458, indique :
458 (1) La compensation n’est payable à aucune personne pour toute réduction de la valeur de l’intérêt de cette personne dans le terrain ou pour toute perte ou dommage résultant de l’un ou l’autre des éléments suivants :
(a) l’adoption d’un plan communautaire officiel;
(b) l’adoption d’un règlement sous la
(i) Division 5 [Règlements de zonage],
(ii) Division 12 [Ententes sur le développement par étapes], ou
(iii) Division 13 [Pouvoirs de réglementation sur d’autres utilisations du sol];
(c) l’émission d’un permis d’utilisation du sol;
(d) la résiliation d’un contrat d’utilisation du sol en vertu de l’article 547 [résiliation de tous les contrats d’utilisation du sol restants en 2024];
(e) l’adoption d’un règlement en vertu de l’article 548 [procédure de résiliation hâtive d’un contrat d’utilisation du sol].
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas relativement à un règlement évoqué au paragraphe (b) de ce paragraphe, qui restreint l’utilisation du sol à une utilisation publique.
Mais, pour l’exception limitée du paragraphe 458(2), la protection qu’accorde la loi aux parties expropriées n’est pas disponible – du moins en Colombie-Britannique – aux parties dont les droits de propriété leur ont été enlevés par d’autres moyens (p. ex. zonage).
Le résultat, c’est qu’un gouvernement local a les moyens de réduire l’utilisation de votre propriété et sa valeur, sans compensation. Si cela est fait conformément à la loi habilitante et en suivant les procédures stipulées, un propriétaire n’a aucun recours, sauf à la boîte de scrutin.
Ce qui nous amène au cas VIT. V.I.T. Estates Ltd. détenait 237 unités privatives dans six immeubles résidentiels (les ‹ six immeubles ›), situés dans la Ville de New Westminster, Colombie-Britannique, et loués par le propriétaire en vertu de la Residential Tenancy Act. En 2010, la Ville a adopté une stratégie de logement abordable dont l’un des objectifs était la préservation de « …logements locatifs sécuritaires, abordables et appropriés ». Cependant, une loi était nécessaire pour permettre à la Ville d’empêcher la conversion des unités privatives louées en occupation par le propriétaire. Le gouvernement provincial a modifié la législation gouvernementale locale afin que les autorités locales comme la Ville puissent adopter des règlements touchant la tenure d’accommodation permise. Les moyens de le faire consistent à introduire des règlements de zonage qui limitent la forme de tenure à une zone ou à la partie d’une zone. Il existe une disposition pour protéger l’utilisation non conforme légale, mais les exigences de tomber sous cette loi de protection ne s’appliquaient pas aux unités des six immeubles.
La Ville a édicté un règlement qui limitait la forme de tenure pour les unités des immeubles désignés (incluant les six immeubles) aux tenances régies par une convention de location qui se conforme à la Residential Tenancy Act de Colombie-Britannique. Le propriétaire des six immeubles a saisi d’un recours la Cour suprême de Colombie-Britannique, alléguant que le règlement de la Ville était ultra vires, illégal ou nul et non avenu. La cour n’était pas d’accord.
En arrivant à sa conclusion, la cour prenait en considération la norme d’examen qui s’applique aux décisions des conseils municipaux suivant la décision de la Cour suprême du Canada, dans le cas Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Vavilov [Vavilov], 2019 SCC 65, et la décision de la Cour d’appel de Colombie-Britannique, dans le cas 1120732 BC Ltd. v. Whistler (Resort Municipality), 2020 BCCA 101, appliquant Vavilov aux décisions du conseil municipal. Au paragraphe 47, la cour écrit que les décisions du conseil municipal ont droit à une norme d’examen rigoureuse raisonnable et que la question est de savoir si la Ville pouvait avoir conclu raisonnablement que la loi provinciale lui donnait le pouvoir de restreindre à perpétuité la forme de tenure des six immeubles à une tenure locative résidentielle.
Au paragraphe 61, la cour remarquait : « Il est dans la nature des règlements de zonage de compromettre les droits de propriété en fief simple, dans une certaine mesure… Si les droits des propriétaires en fief simple ne pouvaient être atténués par des règlements municipaux, alors le pouvoir de zonage conféré par la [loi des gouvernements locaux] de réglementer la tenure locative résidentielle n’aurait aucune signification. »
Au paragraphe 70, la cour écrivait, en partie : « La législature semble avoir intentionnellement habilité les municipalités à préserver leur stock de logements locatifs. C’est exactement ce qu’accomplit le règlement 8123. En conséquence, les propriétaires des unités privatives des six immeubles qui louaient leurs unités lorsque le règlement 8123 est entré en vigueur doivent continuer de rendre leurs unités disponibles à la location. »
Et au paragraphe 72, la cour déclarait :
[72] Selon l’interprétation par la Ville de la RRT Amendment Act, le règlement 8123 atteint les objectifs précis de la loi. Il sert de but correctif à la Ville pour empêcher un propriétaire de convertir une unité privative louée en unité occupée par son propriétaire, préservant ainsi le stock de logements locatifs disponibles de la Ville. Ce but n’empiète pas sur les droits de propriété des propriétaires. Mais, c’est ce que la loi, interprétée raisonnablement, semble avoir voulu. Il ne peut être déraisonnable pour la Ville d’avoir adopté un règlement qui accomplit précisément le but de la législature. Il n’est tout simplement pas valide d’attaquer le règlement 8123 comme un règlement non raisonnable, mais autrement intra vires.
[73] Il n’a pas été démontré que la LGA, tel qu’amendée par la RRT Amendment Act, ne pouvait être raisonnablement interprétée comme permettant l’adoption du règlement 8123. Le conseil municipal, en tant qu’organisme élu démocratiquement, peut raisonnablement avoir considéré le règlement comme une méthode autorisée pour poursuivre son objectif stratégique de maintenir le stock de logements locatifs. Cette décision mérite d’être respectée. Je ne trouve aucune raison d’invalider le règlement.
Pour les fins du présent texte, les complexités des arguments juridiques pour et contre la validité du règlement VIT n’ont pas besoin d’être recensées. Qu’il suffise de dire que la décision de la cour entre dans l’une des longues séries de cas qui ont confirmé le pouvoir des autorités locales de ‹ dédensifier › les biens immobiliers et de causer par là des pertes financières aux propriétaires, sans compensation. Cela fait en sorte qu’un individu doit abandonner une chose de valeur gratis au profit de la communauté, puis entreprendre une discussion difficile avec les autorités d’évaluation des biens immobiliers et d’imposition sur l’utilisation optimale et la valeur diminuée au prochain cycle d’évaluation et d’imposition.
Le défi d’évaluation est évident. Dans les marchés qui expérimentent cela dans les grandes régions de Vancouver et de Toronto et d’autres centres urbains au Canada, comment un évaluateur compose-t-il avec le risque d’intervention des autorités gouvernementales pour sauvegarder le stock de logements résidentiels, pour empêcher le changement d’utilisation des terrains industriels existants ou pour créer tout autre restriction potentielle sur l’utilisation ?
Il existe une certaine orientation judiciaire concernant le moment où le risque de changement devrait être pris en considération dans le processus d’évaluation.[v] Mais, les faits de chaque cas seront très spécifiques.
Conclusion
La Cour suprême du Canada a décrit comme suit le pouvoir d’expropriation d’un gouvernement :
20 L’expropriation d’un bien immobilier est l’un des exercices ultimes d’une autorité gouvernementale. Saisir tout ou partie de la propriété d’une personne constitue une perte grave et une interférence très importante avec les droits privés de propriété d’un citoyen. Il s’ensuit que le pouvoir d’une autorité expropriante devrait être strictement interprété en faveur des personnes dont les droits ont été affectés…
Comparez la méthode d’expropriation à la dédensification dans l’exercice du pouvoir de police. Dans le deuxième cas, comme il est noté ci-dessus, les décisions d’une autorité locale doivent être traitées avec déférence en appliquant une norme raisonnable qui primera sur la sauvegarde des droits individuels. Nous avons, par fort contraste, la capacité d’un gouvernement, en vertu de son pouvoir de police, de dépouiller les propriétaires de leurs droits de propriété, sans compensation, dans la poursuite de la vision de ce gouvernement pour le meilleur intérêt du bien public.
Il y a toujours eu et il y aura toujours un conflit entre les droits de propriété individuels des propriétaires immobiliers et les gouvernements déterminés à implanter des politiques perçues comme favorisant le bien commun. Avec ce conflit vient la question de la mesure dans laquelle les communautés devraient en bénéficier, au détriment des propriétaires individuels de biens immobiliers qui doivent renoncer à leurs droits de propriété sans compensation. Au-delà des questions morales et philosophiques, le conflit augmente le défi pour la profession d’évaluateur de quantifier avec exactitude le risque de dédensification sans compensation et de refléter ce risque dans une opinion sur la valeur marchande de l’intérêt en fief simple.
[i] L’Institut canadien des évaluateurs (Larry Dybvig, éditeur), The Appraisal of Real Estate, 3e éd., Vancouver : Sauder School of Business, 2010, p. 6.1
[ii] Toronto Area Transit Operating Authority v. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 S.C.R. 32 [Dell], au para. 22
[iii] Voir Canadian Pacific Railway Co. v. Vancouver (City), 2006 SCC 5 pour une discussion sur l’expropriation de facto.
[iv] The Appraisal of Real Estate, p. 6.13
[v] Voir par exemple, Petro-Canada Inc. v. Assessor of Area #12 – Coquitlam 1991 CarswellBC 275 (B.C.S.C.); autorisation d’appel rejetée, 1992 CarswellBC 1146 (B.C.C.A.) et affaires prenant ce cas en considération judiciaire.
Cet article est fourni dans le but de générer la discussion. Il ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Toutes les questions relatives aux situations abordées ici devraient être posées à des praticiens qualifiés dans les domaines du droit et de l’évaluation.