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Perspective d’un évaluateur judiciaire : Le gouvernement a surpayé un terrain en se fiant à une évaluation non autorisée

Évaluation immobilière au Canada

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2019 – Volume 63 – Tome 1
Perspective d’un évaluateur judiciaire : Le gouvernement a surpayé un terrain en se fiant à une évaluation non autorisée
Tony Sevelka, MAI, SREA, FRICS, AACI, P. App., AI-GRS

Perspective d’un évaluateur judiciaire : Le gouvernement a surpayé un terrain en se fiant à une évaluation non autorisée

Par Tony Sevelka, MAI, SREA, FRICS, AACI, P. App., AI-GRS

Une évaluation est conçue pour étayer un processus de prise de décision concernant une propriété évaluée. Un parti commandant une évaluation se fiera à celle-ci ou tentera d’inciter un autre parti à le faire. Même les parties qui utilisent souvent des évaluations n’ont habituellement pas les compétences requises pour comprendre quand et sous quelles conditions elles peuvent ou devraient se fier à un rapport d’évaluation. Une décision prise à la lumière d’un rapport d’évaluation qui ne jouit pas d’un titre légal peut entraîner des pertes financières et des conséquences non prévues, comme ce fût le cas lorsque le gouvernement de la Saskatchewan a négocié un accord en vue d’acheter plus de terrain pour le Global Transportation Hub (GTH), par l’entremise de la Global Transportation Hub Authority (GTHA). Une séquence d’événements (et de conduites douteuses), débutant en novembre 2011 et culminant avec la décision de la GTHA d’acquérir 204 acres en décembre 2013 à un prix exagérément gonflé[1], tout en se fiant à un rapport d’évaluation non autorisé « reposant sur une analyse du flux de trésorerie pour un développement subdivisé » afin d’évaluer un terrain vague pour utilisation agricole.

Un rapport d’évaluation préparé par un membre de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) ou par l’Appraisal Institute (É.-U.) doit contenir une « certification obligatoire », incluant une déclaration à cet effet :

« Je certifie qu’autant que je sache, mes analyses, opinions et conclusions ont été élaborées et le présent rapport a été rédigé conformément aux NUPPEC. » [emphase ajoutée]

Cette déclaration est une affirmation sans preuve de conformité aux Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) ou aux Uniform Standards of Professional Appraisal Practice (USPAP). Une agence publique ne devrait accepter aucune évaluation comme valeur nominale sans qu’elle soit bien examinée. Une agence publique sans évaluateurs qualifiés devrait retenir les services d’un évaluateur-examinateur, qui a l’obligation de mener l’examen de manière indépendante et objective, en regardant l’évaluation, pas l’évaluateur. Il faut lire un rapport d’évaluation en entier et examiner toutes ses annexes.

Selon l’ICE, en décrivant Ce que font les évaluateurs, le public peut s’attendre à ce que ses membres fournissent « des évaluations impartiales et fiables » qui « certifient la valeur réelle d’une propriété » et se fier à celles-ci pour prendre « des décisions judicieuses en matière d’immobilier ».[2] Une évaluation déficiente ou peu fiable mine la crédibilité des évaluateurs professionnels aux yeux du public et une agence gouvernementale exposée à un tel rapport devrait directement rejeter l’évaluation. Si l’évaluation fautive a été faite par une personne détenant une désignation d’évaluateur, une plainte devrait être déposée auprès de l’organisation qui l’emploie.

Si l’on a pris des actions en fonction d’une évaluation déficiente ou peu fiable qui ont causé des pertes financières, il est utile de faire appel à un évaluateur-examinateur compétent (de préférence sous la direction d’un avocat) et, en même temps, d’obtenir des avis juridiques quant à savoir s’il est approprié de réclamer des dommages-intérêts pour négligence. Les éléments requis permettant d’obtenir gain de cause dans une réclamation pour négligence, tel qu’indiqué dans Queen c. Cognos Inc.,[3] sont les suivants :

  • Il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration;
  • La déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse;
  • L’auteur doit avoir agi d’une manière négligente;
  • Le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence; et
  • Le fait que le destinataire se soit fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice.

Ces cinq éléments doivent être prouvés par le requérant. Il n’est pas rare que des évaluateurs raisonnables ne s’entendent pas sur la valeur. Les évaluateurs peuvent aussi commettre une erreur de jugement qui n’atteint pas le niveau de la négligence.[4] Si une opinion de la valeur ne repose pas sur des arguments raisonnables ou logiques, en contexte d’utilisation prévue, ou si un rapport d’évaluation est semé d’erreurs de commission ou d’omission liées à l’intégralité, à l’exactitude, au bien-fondé et à la pertinence, tel que supporté par l’examen exhaustif du rapport d’évaluation, un requérant aura probablement gain de cause dans sa réclamation pour négligence.[5] Un évaluateur-examinateur agissant comme témoin expert a le devoir primordial d’aider le tribunal, sans défendre la position du client.[6] Un document comme les NUPPEC entrera vraisemblablement dans l’analyse juridique du tribunal.[7]

Un utilisateur non prévu (non autorisé) avait une réclamation pour négligence contre un évaluateur remercié,[8] mais le juge a déclaré que, si la question de négligence avait été abordée, il aurait conclu que « l’évaluateur avait été négligent », citant les NUPPEC pour appuyer son analyse juridique. Malgré la déclaration explicite dans l’évaluation à l’effet que « les analyses, opinions et conclusions ont été élaborées conformément aux NUPPEC », l’évaluateur avait une obligation d’inclure dans son rapport :

L’impact du règlement sur les plaines inondables sur la valeur, que l’évaluateur a négligé d’analyser… [et] par conséquent, a surestimé la valeur marchande du bien immobilier de 622 000 $. [para 45 et 46]

L’utilisation prévue de l’évaluation était d’aider le prêteur à décider si le bien immobilier offrait assez de garanties pour un prêt hypothécaire. L’évaluateur savait que le terrain se trouvait dans une plaine inondable et son rapport n’en faisait aucune mention. L’utilisation optimale est une exigence fondamentale de toutes les évaluations, dont les contrôles de l’utilisation des terres sont une considération clé, et sur laquelle repose toute estimation de la valeur marchande. Le terrain consiste en 11 lots qui ne peuvent être développés pour l’utilisation prévue « comme développement de type commercial », à cause des restrictions de construction onéreuses contenues dans le règlement sur les plaines inondables.

Un organisme public faisant l’acquisition d’un terrain avec des fonds publics au nom des contribuables a le devoir de mener ses affaires de façon prudente et transparente et de payer la juste valeur marchande. Dans un marché très controversé impliquant l’achat d’un terrain par le gouvernement de la Saskatchewan relativement au développement du GTH, on a payé 103 000 $ l’acre pour 204 acres, en décembre 2013. Le gouvernement a justifié l’acquisition en s’appuyant sur une évaluation non autorisée de février 2013, soumise par le vendeur, qui « indiquait que le terrain valait 125 000 $ [l’acre] ».

En juin 2012, les évaluations commandées par le ministère des Services gouvernementaux (contrat d’évaluation redirigé à la GTHA) estimaient la valeur de ces mêmes 204 acres à 3,46 millions $, en se basant sur 20 000 $ l’acre (116,86 acres) et 15 000 $ l’acre (87,40 acres). On commandait également l’évaluation d’une parcelle de 41,15 acres, qui était évaluée à 15 000 $ l’acre, et, en novembre 2012, la GTHA concluait une entente avec le propriétaire pour acquérir le bien immobilier, au prix de 30 000 $ l’acre.

Considérant que cette propriété était en vente sur le marché libre depuis plus de trois ans et demi et que l’évaluation de juin 2012 donnait 15 000 $ l’acre, on peut raisonnablement conclure que le prix de 30 000 $ l’acre négocié par la GTHA en novembre 2012, environ deux fois la valeur marchande de la propriété, était fortement influencé par l’autoroute et les projets publics du GTH (c.-à.d. le « stratagème »). La propriété est zonée « AIU (avoir immobilier urbain ».

L’acquisition de 204 acres par la GTHA en décembre 2013, à 103 000 $ l’acre, est trois fois plus élevée que les 30 000 à 35 000 $ l’acre estimés dans une évaluation réalisée en octobre 2013[9] pour le compte du gouvernement de la Saskatchewan (ministère des Autoroutes)[10], alors que « l’utilisation prévue de l’évaluation… pour aider à faire l’acquisition du terrain pour une chaussée proposée ». L’évaluation des 204 acres préparée pour le ministère des Autoroutes (MA) donne des valeurs de 30 000 $ l’acre (87,40 acres) et de 35 000 $ l’acre (116,86 acres) et les estimations de la valeur reposent sur des ventes comparables, en employant la méthode de comparaison directe.

Ces 204 acres étaient menacés d’expropriation, mais le rapport d’évaluation n’évoque pas l’Expropriation Procedure Act de la Saskatchewan : une législation faisant en sorte que l’autorité expropriante n’ait pas à payer pour toute augmentation de la valeur du terrain occasionnée par les travaux publics (c.-à.d. le « stratagème ») et qui n’est pas liée aux variations générales des prix dans le marché immobilier correspondant. Il peut être difficile pour un évaluateur de discerner les augmentations de prix découlant des ventes de terrains survenues suite à l’annonce ou au début imminent d’un projet public majeur.

Un propriétaire dont le terrain est menacé d’expropriation devrait rechercher l’avis juridique d’un avocat spécialisé en la matière et retenir les services d’un évaluateur qui comprend le statut pertinent d’expropriation et qui possède la compétence et l’expertise nécessaires pour remplir le contrat de service. Un évaluateur d’expropriation travaille souvent sous la direction de conseillers juridiques. Une évaluation préparée pour le compte d’une autorité expropriante doit également répondre aux mêmes normes de compétence attendues et le rapport d’évaluation devrait être examiné par un évaluateur-examinateur d’expérience au nom du propriétaire du bien immobilier.

L’acquisition de terrains privés pour un projet public, comme une autoroute majeure ou le GTH, peut grandement influencer les prix immobiliers, en fonction du segment du marché immobilier touché par le projet. Le propriétaire du bien immobilier qui a vendu au ministère des Autoroutes et de l’Infrastructure (MAI) certains de ses terrains menacés d’expropriation à deux occasions (une fois après médiation et une fois après négociation), des années plus tard, après que les prix des terrains avaient augmenté, a poursuivi le gouvernement pour obtenir plus d’argent.[11]

Le dédommagement payable sous l’Expropriation Procedure Act doit ignorer toute augmentation ou diminution de la valeur découlant ou ayant un lien de causalité avec l’expropriation. Au moment où le MA songeait à acquérir les 204 acres, le GTH proposé était-il lié à l’expansion projetée de l’autoroute ? En d’autres mots, le GTH fait-il partie du « stratagème » global ? Tel que noté dans le Rapport spécial du vérificateur (juin 2016), le ministère des Services gouvernementaux et le MA devaient acquérir les 204 acres (parcelles Est) et 41 acres supplémentaires (parcelle Sud).

La Global Transportation Hub Authority Act, qui n’a vu le jour qu’en août 2013, n’avait pas le pouvoir législatif d’expropriation dont jouissait le MAI. Alors, pourquoi la GTHA a-t-elle interféré ou concurrencé avec le MAI pour l’acquisition proposée des 204 acres, s’exposant aux caprices du marché et payant un prix exorbitant pour les terrains, dont la valeur était en réalité surtout créée par le « stratagème » lui-même ? Tout le monde savait que le MAI finirait par acquérir ces terrains pour l’autoroute contemplée.[12]

L’évaluation préparée pour le compte du MAI divulgue clairement que les valeurs estimées de 30 000 $ l’acre et de 35 000 $ l’acre sont « présumées » plutôt que « telles quelles  ». On peut supposer que sans ces hypothèses, la valeur des 204 acres à la date réelle de l’évaluation (23 octobre 2013)[13], aurait été inférieure à ces montants. Il est également clair que toutes les transactions survenues après l’annonce publique du MAI, le 9 mars 2009, concernant ses plans d’autoroute pour faciliter le projet du GTH ont fait grimper les prix des terrains.

La GTH Authority Act n’a été édictée que le 6 août 2013.[14] En date de mars 2016, le GTH incluait 1871 acres, dont 732 acres appartiennent à des entreprises sises dans le GTH, 346 acres servent aux infrastructures communes et 114 acres sont réservés à l’usage du MAI. À part les 245 acres, incluant l’acquisition controversée des 204 acres par la GTHA, le MAI a acheté les terrains pour le GTH.

La GTH Act stipule que « si le prix d’achat ou le prix de vente de propriétés dans une transaction conclue par l’autorité dépasse le montant fixé par le lieutenant-gouverneur en conseil [5 millions $] », l’autorité doit obtenir l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil.

Ces mêmes 204 acres avaient déjà été achetés par Tappauf quand, au début 2012, il a vu une parcelle de terrain de 87 acres à vendre (inscrite en août 2011) jouxtant le GTH, le parc industriel détenu par le gouvernement provincial. Tappauf a payé le prix demandé de 45 000 $ l’acre. Par l’entremise de ses courtiers en immeubles, Tappauf a par la suite contacté le propriétaire des 117 acres adjacents, conclu un marché de 55 000 $ l’acre et, en mars 2012, il avait les deux propriétés sous contrat.[15] Les négociations pour les 117 acres ont commencé, en février 2012, à 15 000 $ l’acre, puis à 25 000 $, 30 000 $, 45 000 $ et, enfin, à 55 000 $ l’acre.

En combinaison, Tappauf a payé le prix moyen de 50 735 $ l’acre pour les 204 acres. On ne connaît pas la structure des transactions, mais il est possible qu’une partie importante du prix d’achat dans chaque transaction soit sous forme de financement hypothécaire accordé par le vendeur selon des modalités favorables, ce qui est typique des achats hypothétiques de terrains vagues. Le financement hypothécaire conventionnel de terrains vagues avec de bonnes modalités est difficile à obtenir, alors que le ratio prêt/valeur ne dépasse pas habituellement 50 %. Tappauf contrôlait les deux propriétés en vertu des ententes conditionnelles de mars 2012, qui incluaient des périodes prolongées de diligence raisonnable et qui ne devaient clôturer que le 26 février 2013, donnant le temps à l’acquéreur potentiel de trouver un acheteur qui accepterait de payer les terrains à un prix plus élevé. Les transactions en cours de négociation et les « échanges » de propriétés se sont conclus le même jour et le nom de Tappauf n’a jamais figuré sur le titre.

Tappauf a dit qu’« il pensait pouvoir éventuellement transformer les propriétés en subdivision industrielle », apparemment non informé par son courtier en immeubles que « le gouvernement pensait construire une autoroute à travers ses terrains ».[16] Ces terrains ne sont pas desservis, leur zonage ne permet pas le développement urbain et ils forment une partie de la voie de contournement West Region Bypass planifiée, adjacente à un corridor ferroviaire.[17] Le MAI a fait circuler parmi les propriétaires des biens immobiliers potentiellement touchés un croquis de l’échangeur routier, qui semble avoir été créé en novembre 2011. En juin 2013, trois mois après que les deux vendeurs aient signé des ententes pour vendre leurs terrains à Tappauf, le MAI les a contactés pour les « prévenir que le gouvernement pourrait requérir plus de leurs terrains pour l’échangeur ». L’avocat de Tappauf a par la suite reçu cette information et Tappauf « pouvait encore annuler le marché et récupérer son dépôt », mais, au lieu de cela, les deux transactions ont eu lieu et clôturé le 26 février 2013. Acheter un terrain qui est sous menace d’expropriation est une pratique très inhabituelle, surtout si l’acheteur éventuel est un promoteur. Quant à une transaction motivée par la spéculation, l’achat d’un terrain qui risque d’être exproprié n’a de sens que si son prix est inférieur à la valeur du marché.

Les deux vendeurs qui ont vendu les 204 acres combinés à Tappauf avaient déjà vendu au MAI certains de leurs avoirs immobiliers sous menace d’expropriation. Le MAI a acheté une superficie à 9 000 $ l’acre en 2010 et à 11 000 $ l’acre en 2011.[18] Ces prix reflètent les prix payés par le gouvernement pour d’autres biens immobiliers durant la même période.

Aussi, en août 2009, quand les conditions économiques étaient moins robustes suite à la crise financière mondiale de 2008, la Regina Airport Authority a fait l’acquisition de 217,77 acres, au taux unitaire de 12 000 $ l’acre. Attenante à l’Aéroport de Régina, cette propriété est située dans les limites de la ville et zonée AIU (avoir immobilier urbain).

Le 3 décembre 2013, une recommandation du ministère de l’Économie (président du GTH) parvenait au conseil du GTH, recommandant que le gouvernement de la Saskatchewan « fasse l’acquisition des parcelles Est [à 105 000 $ l’acre] pour soutenir la construction de l’échangeur donnant accès au GTH et vende les terrains restants au GTH pour d’autres développements ». Le 19 décembre 2013, le conseil du GTH recevait du ministère une recommandation révisée, à l’effet que « le GTH achèterait les terrains au prix légèrement réduit de 103 000 $ l’acre et soutiendrait la construction de l’échangeur ».[19] Une série de notes de service rédigées par le GTH donne un aperçu de l’acquisition des 204 acres.[20]

Le rapport d’évaluation du 12 février 2013, comptant 42 pages, avait été préparé pour l’usage exclusif de Royalty Developments Limited (président, Anthony Marquart)[21] et des prêteurs de leur choix, alors qu’ils étaient inscrits comme les seuls utilisateurs prévus du rapport, qui empêchait la GTHA de se fier à celui-ci. Le rapport d’évaluation n’a pas été rendu public. En fait, le commissaire à la protection de la vie privée de la Saskatchewan a ordonné que tous les exemplaires en possession du gouvernement soient détruits ou retournés à l’évaluateur, parce que la GTHA n’a pas payé pour l’évaluation et que « le GTH a reçu un exemplaire du rapport d’évaluation de manière inappropriée », sans l’autorisation écrite de l’évaluateur. En prenant sa décision,[22] le commissaire a noté les restrictions suivantes indiquées dans le rapport de l’évaluateur :

L’utilisation prévue de l’évaluation est pour les fins internes du client et pour assister les mécanismes de financement lié à la propriété en question. Il n’est pas raisonnable pour toute autre personne autre que le client, le prêteur de son choix et [la firme d’évaluation] de se fier à cette évaluation sans d’abord en obtenir l’autorisation écrite de toutes les parties. Ce rapport a été basé sur l’hypothèse qu’aucune autre personne ne se fiera à lui pour tout autre but et toute responsabilité face à une telle personne est rejetée. [para 15] [emphase ajoutée]

Sauf si cela est nécessaire pour faciliter la fonction de cette évaluation, telle qu’indiquée dans les présentes, il n’est pas raisonnable pour toute autre personne autre que le client, le prêteur de son choix et [la firme d’évaluation] de se fier à cette évaluation sans d’abord en obtenir l’autorisation écrite de toutes les parties. [para 16]

La possession ou un exemplaire de ce rapport donnent aucunement le droit de le publier. Tous les droits d’auteur sont réservés à l’auteur et sont réputés confidentiels par celui-ci. Le rapport ne doit pas être dévoilé, cité ou référencé, en tout ou en partie, ou publié d’une quelconque façon sans le consentement écrit du client et de [la firme d’évaluation]. [para 16]

La GTHA n’a pas tenu compte des limitations de responsabilité et des mises en garde bien indiquées au début du rapport d’évaluation − non enfouies ou délibérément dissimulées dans le corps du rapport. Le langage employé ne contient aucune ambiguïté pouvant causer de la confusion ou de l’incompréhension. Aucune explication satisfaisante n’a été fournie pour justifier la foi du gouvernement dans un rapport identifiant clairement les utilisateurs prévus et l’utilisation prévue. Même si la GTHA avait été un utilisateur prévu du rapport, d’autres aspects de l’évaluation auraient dû soulever des préoccupations. Tel qu’indiquait le vérificateur provincial dans son Rapport spécial en 2016 :

Une copie de l’évaluation… [le 12 février 2013] [préparée pour le compte de Royalty Development Ltd. (président Anthony Marquart)] pour la section NO des parcelles Est [116,86 acres], qui attribuait une valeur foncière d’environ 129 000 $ l’acre, …employait une méthode d’évaluation différente [analyse du flux de trésorerie pour un développement subdivisé] de celle que le GTH a demandée [méthode de comparaison directe] [pour ses propres évaluations].

[L’évaluation] a été effectué en février 2013 pour un but autre que la vente du terrain. Étant donné ce but différent, l’évaluation a utilisé une autre méthodologie d’évaluation [analyse du flux de trésorerie pour un développement subdivisé] qui faisait appel à plusieurs hypothèses. Des changements à l’une ou l’autre de ces hypothèses auraient un impact sur l’opinion de l’évaluateur concernant la valeur foncière. De plus, l’évaluation n’a pas employé la méthode de comparaison directe dans l’analyse… [c’est nous qui soulignons]

Considéré seulement la section NO [116,86 acres] des parcelles Est. Nous avons trouvé cette différence importante parce que l’évaluation du GTH en octobre 2013 [commandée entre mai et août 2013]… avait attribué des valeurs foncières très différentes aux deux sections formant les parcelles Est. [c’est nous qui soulignons]

L’autre méthode d’évaluation des terrains, la méthode de développement de subdivision (MDS), est très peu fiable et inappropriée pour évaluer des terrains vagues qui ne sont pas desservis, qui ne sont pas prêts à être développés, pour lesquels il n’y a pas de demande immédiate pour des utilisateurs finaux (c.-à-d. pas de préventes aux utilisateurs finaux de lots desservis ou d’espaces aménagés) et aucune facilité de crédit n’a été obtenue. La MDS requiert beaucoup d’intrants, dont chacun doit être individuellement supporté, et des changements à tout intrant peuvent entraîner différentes estimations de valeur foncière. La MDS peut être un modèle d’évaluation approprié pour tester la faisabilité financière, si les approbations de développement peuvent être reçues, l’infrastructure installée, la facilité de crédit obtenue et les lots finis absorbés (stade d’absorption), tout cela dans un échéancier raisonnable, disons, de cinq ans. Quoi qu’il en soit, on emploie rarement la MDS comme méthode d’évaluation autonome pour estimer la valeur marchande de terrains vagues.

En outre, l’évaluation vise seulement la parcelle de 116,86 acres, qui, par comparaison, est d’une plus grande valeur l’acre que l’autre parcelle (87,40 acres), grâce à la proximité des services.

Alors que le gouvernement avait l’évaluation autorisée en main, il n’a jamais fait de propositions à l’évaluateur et n’a jamais retenu les services d’un évaluateur qualifié pour examiner l’évaluation. En réalité, le conseiller en chef représentant la GTHA a maintenu « qu’il considérait… [l’] évaluation non pertinente aux négociations. [et] par conséquent, il a indiqué qu’il ne l’avait pas formellement examinée. »[23] Cette déclaration n’est pas conforme aux remarques apparaissant dans la décision du commissaire à la protection de la vie privée, le 30 septembre 2016, à l’effet que « le GTH a reconnu qu’une copie de l’évaluation leur a été utile, quoiqu’elle n’était pas nécessaire », [et] « que cette évaluation n’était qu’une partie de l’information prise en considération pour une transaction foncière [116,86 acres] … [et qu’] ils ne se sont pas fiés à cette évaluation de façon substantielle. » Une note de service, rédigée le 3 mars 2014 par la GTHA, divulgue les détails suivants sur l’achat de 204,26 acres et reconnaît s’être fiée à deux évaluations, dont celle non autorisée :

  • En tout, 204,26 acres (82,7 hectares) seront assemblés. On estime que le MAI aura besoin d’environ 80 acres pour la voie de contournement West Regina Bypass.
  • Le prix d’achat dans l’offre d’achat reposait sur deux évaluations et sur une transaction foncière réelle conclue en février 2013.
  • La première évaluation a été effectuée en octobre 2013, employant la méthode de comparaison directe et donnant une valeur marchande d’environ 65 000 $ l’acre pour la parcelle Nord [116,86 acres] et 51 000 $ l’acre pour la parcelle Sud [87,40 acres]. Une seconde évaluation a été réalisée en février 2013, avec l’analyse du flux de trésorerie pour un développement subdivisé donnant une valeur marchande d’environ 129 556 $ l’acre pour la parcelle Nord [116,86 acres]. Le prix d’achat pour la transaction foncière de février 2013 était d’environ 84 000 $ l’acre.
  • Selon l’information ci-dessus, la GTHA a été autorisée à envoyer une offre d’achat officielle le 23 décembre 2013. Le vendeur a accepté l’offre d’achat le 24 décembre 2013, avec la date de clôture du 3 mars 2014.
  • Le prix de l’offre acceptée était de 103 000 $ l’acre (environ 254 410 $ l’hectare), pour un coût totalisant environ 21 millions $.

En vertu de l’édition 2012 des NUPPEC, une évaluation doit divulguer tous les détails entourant les ventes récentes, les inscriptions (expirées et courantes) et les conventions d’achat et de vente en instance relativement à la propriété en question :

7.24 Convention de vente, d’option et d’inscription

Doit être analysée et déclarée s’il y a convention de vente, d’option, ou de location, s’il y a lieu, ou que la propriété sujette a été inscrite dans l’année précédant la date de l’évaluation, y compris toute convention en suspens/actuelle de vente, d’achat ou de location, si ladite information est disponible à l’évaluateur dans le cours de ses activités.

7.25 Ventes antérieures

Les ventes antérieures du bien immobilier doivent être analysées et incluses dans le rapport si elles se sont réalisées dans les trois années précédant la date de l’évaluation, si l’information est disponible à l’évaluateur dans le cours normal de son travail, à la date de l’évaluation.

Il n’y a que deux possibilités quant à ces divulgations obligatoires dans les NUPPEC. Soit que le rapport d’évaluation du 12 février 2013 n’inclut pas les divulgations, ce qui signifie que le rapport n’a pas été rédigé conformément aux NUPPEC, soit que les divulgations sont incluses dans le rapport d’évaluation et elles ont été ignorées tant par la GTHA que par le ministère de l’Économie. Dans les deux cas, l’information de cette nature sur la propriété est critique quant à son influence sur la valeur marchande de la parcelle de 116,86 acres.

C’est le ministère de l’Économie qui a envoyé par courriel un exemplaire de l’évaluation non autorisée à la GTHA, le 20 décembre 2013, alors que le message du courriel n’explique pas quand et comment l’évaluation est entrée en sa possession. Cependant, un courriel circulant le 11 novembre 2013 au sein du ministère de l’Économie[24] avait en pièce jointe le rapport d’évaluation du 12 février 2013 et exprimait des préoccupations sur la méthode d’évaluation, mais que cette dernière, qui visait seulement la parcelle de 116,86 acres, pourrait « établir le bien-fondé » de payer plus que nécessaire pour le terrain.

La raison pour laquelle le gouvernement a ignoré l’évaluation du 23 octobre 2013 faite pour le compte du MAI, qui estimait la valeur des 204 acres à 30 000 $ l’acre (87,40 acres) et 35 000 $ l’acre (116,86 acres), n’a jamais été expliquée adéquatement. Cette évaluation du 23 octobre 2013 divulgue entièrement l’historique des ventes de la propriété en question et l’analyse requise, tel que prescrit par les articles 7.24 et 7.25 des NUPPEC.

L’évaluation commandée par la GTHA, en vigueur le 26 septembre 2013,[25] était plus récente que le rapport non autorisé (26 février 2013) qu’elle avait en main. Cette évaluation de 28 pages (excluant les annexes), reposant sur la méthode de comparaison directe, donne des valeurs de 65 000 $ l’acre (116,87 acres) et 51 000 $ l’acre (87,41 acres).[26]

Concernant l’historique des ventes des deux biens immobiliers, tel que prescrit par les articles 7.24 et 7.25 des NUPPEC, le rapport déclare :

Les dossiers publics montrent que la propriété en question [116,87 acres] a été transférée le 26 février 2013, au prix de 9 818 588 $ [84 020 $ l’acre], de 139 Land Corporation à 101225232 Saskatchewan Ltd.,[27] cette vente ayant été utilisée comme Index #2. Le 21 mars 2012, un intérêt divers a été inscrit sur le titre par 139 Land Corporation, déclarant un intérêt comme acheteur dans une offre d’achat acceptée de 55 000 $ l’acre, confirmée auprès de l’acheteur. La documentation écrite n’a pas été fournie. À notre connaissance, la propriété en question n’est pas présentement inscrite pour la vente et nous ne savons pas non plus s’il y a des conventions de vente ou des offres d’achat pour la propriété en question. Toutefois, on nous dit que la propriété en question appartient actuellement à une société immobilière active dans la région. [emphase ajoutée]

Les dossiers publics montrent que la propriété en question [87,41 acres] a été transférée le 26 février 2013, au prix de 6 264 954 $ [71 673 $ l’acre], de 139 Land Corporation à 101225232 Saskatchewan Ltd., cette vente ayant été utilisée comme Index #3. Le 21 mars 2012, un intérêt divers a été inscrit sur le titre par 139 Land Corporation, déclarant un intérêt comme acheteur dans une offre d’achat acceptée de 45 000 $ l’acre, confirmée auprès de l’acheteur. La documentation écrite n’a pas été fournie. Le 13 septembre 2011, un transfert de propriété a eu lieu entre personnes ayant un lien de dépendance. À notre connaissance, la propriété en question n’est pas présentement inscrite pour la vente et nous ne savons pas non plus s’il y a des conventions de vente ou des offres d’achat pour la propriété en question. Toutefois, on nous dit que la propriété en question appartient actuellement à une société immobilière active dans la région. [emphase ajoutée]

Quelles que soient les raisons de la GTHA d’acquérir 204 acres au prix exagérément gonflé et non justifié de 103 000 $ l’acre, il est manifeste que la GTHA :

  • N’appliquait pas de stratégies en matière d’évaluation pour supporter l’acquisition potentielle de terrains et ne possédait aucune expertise interne dans le domaine;
  • N’a pas agi de manière prudente au nom des payeurs de taxes, qui ont en bout de ligne perdu des millions de dollars; et
  • A miné l’intention du MAI d’acquérir des terrains pour construire l’autoroute, un ministère ayant le pouvoir statutaire d’acquérir des terrains aux prix du marché, conformément à l’Expropriation Procedure Act.

Une agence gouvernementale qui n’a pas l’expertise requise pour examiner un rapport d’évaluation, qu’il soit commandé directement ou reçu indirectement par l’entremise d’un tiers, devrait faire appel à un évaluateur-examinateur compétent. Le rapport d’évaluation d’un tiers ne devrait jamais être accepté ou utilisé, à moins que l’agence gouvernementale ne soit expressément identifiée comme utilisateur prévu, que l’utilisation prévue ne soit conforme aux objectifs de l’agence et que la divulgation publique ne soit permise. En cas de pertes financières subies suite à la foi dans un rapport d’évaluation en tant qu’utilisateur non prévu, il est improbable qu’une réclamation pour cause de négligence contre l’évaluateur ait gain de cause.

REMARQUE : Pour accéder à une version complète de cet article, incluant les notes en bas de page/notes en fin de texte qui sont référencées, visitez saversion en anglais ici.