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Évaluation immobilière au Canada

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2015 – Volume 59 – Tome 1
Lire l’ensemble du rapport
David Enns

Par David Enns, B.Sc. (Agr.), MAA, AACI, P.App

Enns, MacEachern, Pace, Maloney & Associates Inc.,

Cornwall, Ontario

Formats de rapport

Certains membres de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) se souviendront qu’avant le 1er janvier 2001, en vertu des règles des Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC), trois formats de rapport étaient mis à la disposition des évaluateurs, à savoir le rapport indépendant, le rapport sommaire ou le rapport limité pour chacun des deux processus d’évaluation (complet et limité). (1)

À compter de janvier 2001, conformément aux nouvelles Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC), les rapports narratifs détaillés, les rapports narratifs et les rapports sur formulaire ont remplacé les formats de rapport en vigueur avant cette date. (2) Le rapport narratif se différencie du rapport narratif détaillé par l’utilisation d’une hypothèse extraordinaire. Si le processus d’évaluation en englobe une, il doit en être de même avec le rapport, qui sera alors narratif. Si le rapport ne contient pas d’hypothèses extraordinaires, il s’agira alors d’un rapport narratif détaillé. Cette différence est illogique, car le nom du rapport sert à distinguer le type de processus d’évaluation au lieu du contenu descriptif.

À la suite de discussions approfondies et de l’examen de cette question, la terminologie a été modifiée avec l’entrée en vigueur des NUPPEC 2005 et le nombre de formats de rapport fut donc réduit à trois : rapport narratif détaillé, rapport narratif abrégé et rapport sur formulaire. (3)

Facteurs qui dissuadent les lecteurs à lire l’ensemble du rapport 

Il y a plusieurs années, un membre stagiaire travaillant au sein de notre cabinet a soumis un rapport de démonstration (il s’agissait bien sûr d’un rapport narratif) aux fins d’examen. Un membre du Comité d’examen critiquait la non-mention de la valeur marchande estimée dans la lettre de présentation. Le comité s’est objecté à cette critique, car la valeur marchande estimée ne figure jamais dans la lettre de présentation pour la raison suivante. Nous estimons que tous les clients doivent lire l’ensemble du rapport (plusieurs ne le font pas). En stipulant la valeur marchande estimée dans la lettre de présentation, nous croyons que le client ne sera alors plus motivé à lire le reste. 

Cependant, nous souhaitons que le lecteur/client lise l’ensemble du rapport et non la première page seulement (ou le résumé) et nous l’encourageons de plusieurs manières. Une façon consiste à inclure la mention suivante dans chaque lettre de présentation :
« Afin de faciliter la lecture, le rapport contient un résumé des faits importants et des conclusions. En outre, la certification, les hypothèses et les conditions limitatives, y compris toute hypothèse extraordinaire, ont été regroupées dans des sections définies du rapport; prière de lire l’ensemble du rapport. »(Remarque : l’italique a été ajouté aux fins du présent article.)

Le dernier paragraphe de la lettre de présentation pourrait être formulé comme suit : « Après avoir lu l’ensemble du rapport, si vous estimez avoir besoin de renseignements complémentaires ou de précisions, n’hésitez pas à communiquer avec moi. » – (Remarque : l’italique a été ajouté aux fins du présent article.)

Hypothèses extraordinaires

Évidemment, le recours à des hypothèses extraordinaires peut représenter un aspect clé du processus d’évaluation. Les clients veulent fréquemment savoir la valeur d’un bien à la suite d’un agrandissement, de rénovations majeures ou de l’ajout d’une nouvelle structure. Dans ces cas, le client précise habituellement les hypothèses à formuler. L’hypothèse selon laquelle le bâtiment a été agrandi ou a fait l’objet de rénovations majeures étant importante, le terme « extraordinaire » est alors utilisé. De telles hypothèses extraordinaires nécessitent des conditions hypothétiques, les distinguant ainsi des hypothèses habituelles touchant un bien, par exemple une hypothèse liée à son environnement propre.    

Au sujet de l’utilisation des hypothèses extraordinaires et des conditions hypothétiques, un membre du Comité d’enquête de l’ICE a rappelé que celles-ci devraient, à titre de bonne pratique, accompagner les estimations de la valeur marchande. (4) Cela signifie qu’elles devraient apparaître (en plus de faire partie de la description du bâtiment et possiblement de celle de l’utilisation optimale) dans la conclusion de chaque méthode servant à déterminer la valeur,  la conciliation, la certification et le résumé des faits importants et conclusions. Il est possible de copier l’hypothèse extraordinaire ou la condition hypothétique à l’aide des fonctions conçues à cet effet d’un logiciel de traitement de texte, par exemple Word, (5) mais cette tâche peut devenir lourde s’il y en a plus d’une. (6)  On peut également retrouver des hypothèses ordinaires dans le rapport, telles que l’évaluation environnementale du bien, sur lesquelles l’évaluateur voudra attirer l’attention du lecteur.

Par conséquent, afin de trouver un équilibre entre la clarté, la concision et l’exhaustivité, en plus de l’inclusion d’un énoncé sur les hypothèses extraordinaires et l’estimation de la valeur, (7) le libellé suivant doit figurer dans chaque rapport narratif, au début de la section décrivant brièvement la nature des NUPPEC :

« La présente évaluation est considérée comme ayant été fondée sur certaines conditions limitatives extraordinaires et une hypothèse extraordinaire (veuillez consulter la page xx du présent rapport). »

Il semble raisonnable de s’attendre à ce qu’un client veuille (s’il fait preuve de diligence raisonnable) lire l’ensemble du rapport, même s’il compte 50 pages. Si les déplacements de l’évaluateur pour se rendre sur les lieux du bien et y revenir, l’inspection de celui-ci par l’évaluateur, la détermination de l’utilisation optimale à la suite de la confirmation du zonage et de son statut selon les plans officiels, l’analyse des comparables (l’évaluateur aura probablement recours à plus d’une méthode), le rapprochement des méthodes, l’estimation de la valeur finale, la correction et l’impression du rapport (ou la création et la protection d’un fichier PDF) totalisent 20 heures, le client peut certainement prendre 40 minutes environ pour lire la totalité du rapport. Est-ce trop en demander?   

Autres éléments importants d’un rapport narratif

Les conditions du marché constituent un autre élément important de l’évaluation de la valeur d’un bien et doivent faire partie intégrante de tout rapport d’évaluation. Qu’advient-il des taux d’inoccupation? Les chiffres et niveaux de vente absolus augmentent-ils, baissent-ils ou restent-ils stables? Quelles caractéristiques s’avèrent essentielles aux yeux des acheteurs actuels et le bien en question les possède-t-il? Quelles tendances se dessinent dans le marché du bien visé et quelles sont leurs répercussions sur celui-ci? Une discussion approfondie sur les conditions du marché n’est pas moins importante qu’une condition extraordinaire déjà précisée par le client.

La quantité et la qualité des comparables revêtent également une importance. Pourquoi existe-t-il tant de comparables parmi lesquels choisir ou le marché de ce type de bien est-il particulièrement restreint? Existe-t-il des ventes combinées pouvant appuyer les ajustements (L’évaluateur a-t-il expliqué le terme « vente combinée » au lecteur?)? Quel est le degré de difficulté associé à la justification des ajustements? S’agit-il d’ajustements quantitatifs ou qualitatifs? Tous ces aspects doivent être décrits dans un rapport narratif. Pour le client, qui est aussi prêteur, ces éléments devraient l’aider à déterminer logiquement le coefficient de prêt qu’il accordera. Bien qu’il n’incombe pas à l’évaluateur de commenter la solvabilité des emprunteurs, (8) les marchés immobiliers ne sont naturellement pas parfaits et comportent des risques. Un coefficient de prêt équivalant à 75 % de la valeur n’a rien de sorcier; les prêteurs ne sont pas nécessairement tenus de respecter cette règle à la lettre si la propriété est unique, s’il existe peu de comparables ou si les ventes comparables sont inappropriées. Alors que les évaluateurs lisent au sujet des prêts hypothécaires à risque élevé, il faudrait peut-être reconnaître l’existence de biens à risque élevé. Tous ces éléments peuvent aider les prêteurs potentiels à évaluer leur risque et doivent être mentionnés dans le rapport narratif. Cependant, un résumé d’une page ne peut pas contenir la description complète et appropriée de ces importants éléments.

Nos clients lisent-ils nos rapports? 

À certaines occasions, un client m’a téléphoné pour me poser une question sur un rapport. « Qu’en est-il de, ou est-ce qu’on retrouve tel élément dans le rapport? » La réponse est habituellement la suivante : « L’élément que vous cherchez se trouve à la page x ».

Je me souviens d’un appel de la part d’un client privé à la suite de la réception du rapport portant sur son bien (une ferme d’élevage de chevaux). Le client (qui ne connaissait pas bien les rapports d’évaluation) voulait me dire que les photos incluses dans le rapport ne représentaient pas sa ferme. J’étais horrifié; je me suis demandé si j’avais mis les mauvaises photos dans le rapport en ouvrant rapidement le fichier. Je me suis aussi souvenu qu’un membre de l’ICE avait fait ce geste il y a plusieurs années et avait été justement condamné pour son erreur, mais est-ce que j’avais fait la même chose? J’ai demandé au client la page où se trouvaient les photos en question et le client m’a dit de consulter la page x. Sur cette page apparaissait effectivement des photos, mais il s’agissait des indices utilisés dans le cadre de l’analyse de l’évaluation (et elles étaient identifiées clairement comme tel). J’ai expliqué le tout au client (à son grand soulagement et au mien). 

Bien que nous échangions parfois des plaisanteries avec nos clients réguliers au sujet de la lecture de l’ensemble du rapport, celui-ci doit absolument être lu dans son ensemble si le client veut obtenir une compréhension exhaustive et appropriée de l’estimation finale de la valeur du bien déterminée par l’évaluateur. Une page ne peut pas contenir la description de tous ces aspects importants. Sinon, la rédaction d’un rapport de 40 ou 50 pages serait une perte de temps si une page suffisait.

La perception à l’égard des paragraphes passe-partout

Bien que les clients réguliers puissent croire que les rapports narratifs comprennent des paragraphes passe-partout, il y a évidemment des répétitions (comme les titres, le format, la définition de la valeur marchande et la description des trois méthodes d’évaluation), mais chaque section du rapport englobe des renseignements propres au bien évalué.

Prenons par exemple l’évaluation de l’impôt foncier d’un bien immobilier. En Ontario, la Société d’évaluation foncière des municipalités (SEFM) a récemment mis à jour son évaluation de la valeur de tous les biens de la province en date de janvier 2012. Puisqu’elle a fourni une estimation de la valeur du bien en question, nous nous sentons alors obligés de commenter l’évaluation du bien visé dans le rapport d’évaluation. Dans le cadre d’une évaluation d’une terre agricole vacante que j’ai menée, la SEFM utilisait un taux de 5 200 $/acre s’appliquant aux terres agricoles pour déterminer la valeur estimée actuelle du bien en question. C’était facile, mais aussi important, de souligner que les ventes comparables au sein du même marché se situaient entre 10 000 $ et 10 500 $ par acre pour les terres agricoles. Bien que le titre de cette section du rapport était standard et que le libellé « l’évaluation reflète l’opinion de l’autorité locale en matière d’évaluation à l’égard de la valeur actuelle du bien en se fondant sur les résultats de janvier 2012, toutefois, aucune donnée sur les ventes n’est incluse dans les évaluations afin de justifier les estimations » était également standard et utilisé dans plus d’un rapport, le fait de signaler la différence entre l’évaluation actuelle et ce que démontrent les ventes dans le marché immédiat du bien en question n’a rien de passe-partout.   

Des exemples semblables illustrant les contraintes sur le plan juridique imposées à un bien au moyen du plan officiel et du règlement de zonage pourraient être donnés. Bien que les titres puissent sembler passe-partout, la discussion qui s’ensuit sur la probabilité d’un changement de zonage du bien en question nécessitant la modification du plan officiel constitue un aspect important de l’analyse de l’utilisation optimale. Cette constatation vaut particulièrement pour les biens ayant subi ou sur le point de subir un changement au niveau de l’utilisation des terres. (10)   

Conclusions

Bien que nous devions faire des références claires et précises au sujet des hypothèses extraordinaires et des conditions limitatives, mettre en gras certains aspects importants du rapport et produire des rapports d’évaluation clairs et concis conformes à la Règle relative à la norme d’évaluation, il est également de notre devoir d’encourager nos lecteurs à lire l’ensemble de notre rapport en formulant des énoncés à cet effet. Enfin, ils nous ont payés pour produire un rapport complet.

Notes

1. Puisque chaque processus d’évaluation (complet ou limité) peut faire l’objet de trois rapports différents (indépendant, sommaire ou limité), cela signifie que les clients peuvent choisir parmi six combinaisons de rapports distinctes. Cette situation rend la tâche difficile aux évaluateurs et les clients ont encore plus de difficulté à comprendre. Heureusement, l’adoption des NUPPEC en 2001 a simplifié les choses.

2. Voir l’édition 2001 des NUPPEC, The Appraisal Standards Board, Définitions page 1.

3. Voir l’édition 2005 des NUPPEC, The Appraisal Standards Committee, Définitions page 1. Curieusement, il n’existe aucune exigence dans les NUPPEC associée à la nomination du type de rapport; les types de rapport font partie intégrante des Normes, car ils font partie intégrante des Définitions, qui sont obligatoires.

4. Doyle Childs, AACI, P. App., membre du Comité d’enquête, Utilisation des hypothèses extraordinaires et des conditions hypothétiques, Évaluation immobilière au Canada, Volume 52, Livre 4, 2008, page 36. Voir aussi NUPPEC 2014, 7.11.2.   

5. Les traitements de texte puissants, comme Microsoft Word, grâce à leurs nombreuses caractéristiques de mise en page, constituent le fondement de tout rapport narratif.

6. Par exemple, nous ne sommes pas des chercheurs de titres professionnels et nous n’effectuons pas de recherches de titres (nous le mentionnons clairement dans chaque rapport). Par conséquent, toutes nos évaluations comportent une condition limitative extraordinaire liée à l’absence d’une recherche de titres complète et appropriée. 

7. Nous complétons l’estimation de la valeur avec le libellé suivant : « veuillez consulter la page xx pour obtenir la description de toutes les hypothèses extraordinaires et conditions limitatives spécifiques jouant un grand rôle dans les conclusions par rapport à la valeur ».

8. Robert Patchett, L.L.B, CD, Conseiller de l’ICE, Pratique professionnelle, Lettres de présentation/fiabilité – Occasions d’affaires et risques, Évaluation immobilière au Canada, Volume 52, Livre 4, 2008, page 38.

9. À titre d’exemple, cette situation survient lorsque les utilisations relatives aux ordres inférieurs s’apparentent à celles des ordres supérieurs  (qui connaissent souvent une hausse), comme lorsque les utilisations agricoles équivalent aux utilisations résidentielles. Voir aussi Raleigh Barlowe, Land Resource Economics, 4e édition, Prentice Hall Inc., 1986, pages 152-153.