Un pacte réel positif est-il exécutoire comme obligation contractuelle?
Évaluation immobilière au Canada
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QUESTIONS JURIDIQUES
Par John Shevchuk, avocat-procureur, C.Arb, AACI(Hon)
Les parcelles de terrain (y compris les parcelles d’espace aérien) qui dépendent d’autres parcelles de terrain pour leur pleine utilisation et jouissance soulèvent des questions intéressantes et compliquées que la loi doit résoudre et que les évaluateurs doivent évaluer. Ce point est illustré par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Owners, Strata Plan LMS 3905 c. Crystal Square Parking Corp., 2020 SCC 29 [Crystal Square].
Sept parcelles d’espace aérien ont été aménagées dans le cadre du projet Crystal Square situé à Burnaby, en Colombie-Britannique : 1) un complexe commercial, 2) une tour de bureaux, 3) une tour résidentielle, 4) un hôtel, 5) un parc de stationnement, 6) un bureau de police et 7) un centre culturel. Les parties au litige dans l’affaire Crystal Square étaient la société en copropriété pour les propriétaires de la parcelle d’espace aérien de la tour à bureaux et le propriétaire de la parcelle d’espace aérien du parc de stationnement.
Au cours de la phase de développement, une étape obligatoire était la signature d’un accord sur la parcelle d’espace aérien (l’accord ASP) entre le promoteur et la ville de Burnaby. Entre autres choses, l’accord ASP prévoyait des servitudes mutuelles pour le soutien, les raccordements de service et l’accès aux véhicules. L’accord ASP a été enregistrée comme une servitude au bureau des titres fonciers le 17 mars 1999.
Une section de l’accord ASP exigeait que le propriétaire de l’installation de stationnement fournisse un espace de stationnement et un accès aux véhicules aux propriétaires d’autres parcelles d’espace aérien en échange du paiement d’une redevance annuelle. Les places de stationnement ont été attribuées aux propriétaires de la parcelle d’espace aérien de la tour de bureaux. L’accord ASP prévoyait également que, lors du dépôt d’un plan de copropriété pour une parcelle d’espace aérien, la société en copropriété résultante serait responsable du paiement des frais annuels de stationnement. L’accord ASP prévoyait en outre que, lors du dépôt d’un plan de copropriété, la société en copropriété conclurait une convention de prise en charge avec les propriétaires des autres parcelles d’espace aérien, assumant ainsi les obligations prévues par l’accord ASP.
Le 26 mai 1999, un plan de copropriété pour la parcelle d’espace aérien de la tour à bureaux a été déposé au bureau des titres fonciers, mais la société en copropriété n’a jamais conclu l’accord de prise en charge avec les propriétaires des autres parcelles d’espace aérien. Le 28 juin 2002, le promoteur a vendu la parcelle d’espace aérien du parc de stationnement à un exploitant de parc de stationnement. Dans le cadre de cette transaction, le promoteur a cédé l’accord ASP au propriétaire du parc de stationnement.
Jusqu’en 2012, les membres de la copropriété de la tour de bureaux se sont garés dans le parc de stationnement et ont payé les frais prévus dans l’accord ASP. Cependant, un différend est survenu et la société en copropriété a cessé de payer les frais de stationnement. Le propriétaire du parc de stationnement a exercé des représailles en révoquant les privilèges de stationnement. Dans le litige qui en a résulté, la société en copropriété a demandé, entre autres, une déclaration selon laquelle la disposition de l’accord ASP relative au paiement était nulle et non avenue ou inapplicable. La société en copropriété a fait valoir, entre autres, que la disposition relative au paiement contenue dans l’accord ASP était un covenant positif et, par conséquent, non exécutoire.
Le redressement demandé par la société en copropriété a nécessité l’examen du droit relatif aux covenants qui accompagnent le terrain et, puisque la société en copropriété n’existait pas au moment de la création de l’accord ASP, la Cour suprême du Canada a également dû examiner le droit relatif aux contrats antérieurs et postérieurs à la constitution en société.
Covenants positifs c. obligations contractuelles
Dans l’affaire Westbank Holdings Ltd. c. Westgate Shopping Centre Ltd, 2001 BCCA 268 [Westbank], au paragraphe 16, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit les conditions nécessaires pour qu’un covenant soit rattachée au bien-fonds :
[16] Les conditions nécessaires des covenants qui accompagnent les biens-fonds sont énoncées par DeCastri dans son texte intitulé Registration of Title to Land (Carswell 1987). Elles ont été énoncées par le juge Clearwater dans l’affaire Canada Safeway Ltd. c. Thompson (City), [1996] M.J. No. 393, 15 août 1996, à la page 8, comme suit :
(a) Le covenant doit être négatif en substance et constituer une charge sur le bien-fonds du concédant analogue à une servitude. Aucun covenant personnel ou affirmatif exigeant la dépense d’argent ou l’accomplissement d’un acte quelconque ne peut, en dehors de la loi, être rendu exécutoire avec le bien-fonds.
(b) Le covenant doit toucher et concerner le bien-fonds, c’est-à-dire qu’il doit être imposé pour le bénéfice ou pour augmenter la valeur du bien-fonds. De plus, ce bien-fonds doit pouvoir bénéficier du covenant au moment où il est imposé.
(c) Le bien-fonds bénéficiaire ainsi que le bien-fonds grevé doivent être définis avec précision dans l’instrument créant le covenant restrictif.
(d) L’acte de cession ou l’accord devrait indiquer que le covenant est imposé sur le bien-fonds du concédant pour la protection d’un bien-fonds spécifique du concessionnaire.
(e) A moins que le contraire ne soit autorisé par la loi, les titres de propriété du bien-fonds bénéficiaire et du bien-fonds grevé doivent être enregistrés.
(f) En dehors de la loi, le bénéficiaire du covenant doit être une personne autre que l’auteur du covenant.[i]
L’Affaire Crystal Square confirme la prohibition en common law contre les covenants affirmatifs (c’est-à-dire positifs) décrits dans Westbank. Si la clause de paiement de l’accord ASP ne pouvait être appliquée parce qu’il s’agissait d’un covenant positif, la société en copropriété pouvait-elle être obligée de payer le stationnement sur la base d’un contrat postérieur à sa constitution en société? La société en copropriété s’est opposée à ce résultat, soutenant qu’il n’y a aucune différence entre l’exécution d’un contrat postérieur à la constitution en société qui impose une obligation d’exécution liée au terrain et l’exécution de la charge d’un covenant positif à son égard comme s’il était lié au terrain et que, de toute façon, la preuve n’appuyait pas l’existence d’un tel contrat.
La réponse de la Cour suprême du Canada à la première position de la société en copropriété était qu’elle ignorait la distinction entre le droit des contrats et le droit des biens. La Cour a statué que la prise en charge par une partie d’une obligation contractuelle par le biais d’un contrat postérieur à la constitution en société – par exemple, l’obligation de payer des frais de stationnement – est un véhicule distinct de celui d’un covenant rattaché au bien-fonds qui lie l’auteur du covenant et les propriétaires subséquents par le biais du covenant rattaché au bien-fonds.
Contrats antérieurs et postérieurs à la constitution en société
Après avoir décidé qu’un contrat touchant un intérêt foncier n’enfreignait pas le droit relatif aux covenants positifs, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Crystal Square, a ensuite examiné si, dans les circonstances de l’espèce, il existait un contrat obligeant la société en copropriété à payer les frais de stationnement. Comme nous l’avons déjà mentionné, la société en copropriété n’existait pas lorsque l’accord ASP a été créé. Par conséquent, le droit relatif aux contrats antérieurs et postérieurs à la constitution en société devait être examiné et appliqué.
Écrivant au nom de la majorité de la Cour, le juge Côté a expliqué qu’une entente conclue avant la constitution en société (en l’occurrence, l’accord ASP conclu avant la création de la société en copropriété) ne lie pas la société une fois qu’elle existe. Toutefois, une fois créée, une société peut conclure un contrat postérieur à sa constitution en société selon les mêmes modalités que le contrat antérieur à sa constitution en société. Le juge Côté a fait remarquer qu’il est également possible, en vertu de la législation sur les sociétés par actions, qu’un contrat préexistant soit adopté par des actions ou une conduite signifiant l’intention d’être lié par le contrat.
Dans l’affaire Crystal Square, la difficulté résidait dans le fait que la législation sur les copropriétés en Colombie-Britannique empêchait de s’appuyer sur la législation sur les sociétés par actions, de sorte qu’on ne pouvait pas dire que l’accord ASP avait été adopté par la société en copropriété. Cependant, selon le point de vue de la cour sur la preuve, il était possible que la société en copropriété, par sa conduite et ses actions, ait conclu un contrat après son incorporation ayant les mêmes termes que l’accord ASP qui lierait la société en copropriété en common law.
Le juge Côté a écrit, au paragraphe 33, que « En résumé, une [traduction] « manifestation extériorisée de l’assentiment de chaque partie qui fasse naître chez l’autre une attente raisonnable » est nécessaire pour conclure à l’existence d’un contrat postérieur à la constitution ayant force obligatoire… Le test est objectif. Il exige d’examiner comment la conduite de chaque partie serait perçue par une personne raisonnable placée dans la même situation que l’autre partie… En conséquence, le tribunal doit déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation qu’une partie considérerait la conduite de l’autre partie comme une offre … et, réciproquement, si une personne raisonnable placée dans la même situation que cette dernière partie considérerait la conduite de la première partie comme une acceptation… Le contrat préconstitutif n’est qu’un aspect des circonstances objectives susceptibles de servir à interpréter la conduite des parties et à partir desquelles les termes d’un contrat postérieur à la constitution peuvent être déduits. »
Au paragraphe 37, le savant juge écrit : « En conclusion, le test applicable pour établir l’existence d’un contrat postérieur à la constitution ne diffère pas du test applicable en common law pour établir l’existence de toute autre convention. Il s’agit d’un test objectif, et l’offre, l’acceptation, la contrepartie et les termes peuvent être inférés à partir de la conduite des parties et des circonstances entourant la conclusion du contrat. »
Après avoir expliqué pourquoi une société en copropriété a la capacité juridique de conclure un contrat post-incorporation, le juge Côté s’est penché sur la question de savoir si un tel contrat avait été formé à Crystal Square. À partir du paragraphe 49, le juge Côté fait référence aux éléments de preuve qui ont amené la majorité de la cour à conclure qu’un contrat post-incorporation avait été formé. Le propriétaire de l’installation de stationnement a manifesté son intention d’offrir un contrat selon les termes de l’accord ASP en mettant à la disposition des membres de la corporation en copropriété des laissez-passer de stationnement valides dans une quantité correspondant à l’accord ASP. Le tribunal a conclu que les membres de la copropriété auraient dû savoir qu’une contrepartie de valeur était offerte pour leur bénéfice (c.-à-d. l’entretien et l’exploitation de l’installation de stationnement) et qu’ils s’attendaient à ce que les membres paient pour cet avantage. La société en copropriété a manifesté son intention d’accepter l’offre du propriétaire de l’installation de stationnement en payant les frais envisagés dans l’accord ASP et ses membres ont exercé les droits correspondant à ces paiements après que le propriétaire de l’installation de stationnement ait acquis la parcelle d’espace aérien. Sur cette base, le tribunal a conclu qu’une personne raisonnable se trouvant dans la position du propriétaire du parc de stationnement considérerait la conduite de la société en copropriété comme un assentiment à l’accord ASP.
Dans l’exposé des motifs de son jugement, le juge Côté a souligné que ce ne sont pas les intentions subjectives d’une partie qui déterminent la naissance d’un contrat. Au paragraphe 31, il écrit : « … Cette règle générale signifie qu’un consensus mutuel subjectif n’est ni nécessaire ni suffisant pour la création d’un contrat exécutoire et qu’une personne peut être liée par des obligations contractuelles qu’elle n’avait pas l’intention (subjectivement) d’assumer… ».
Pour terminer
On peut tirer au moins trois leçons de Crystal Square :
- le droit demeure que, sauf exception prévue par la loi, les covenants positifs ne sont pas associés au bien-fonds;
- cependant, un droit contractuel qui affecte un bien-fonds distinct d’un droit de propriété sera exécutoire même s’il impose des obligations d’exécution à un propriétaire foncier; et
- en dehors de la législation sur les sociétés commerciales permettant l’adoption de contrats antérieurs à la constitution en société, les principes contractuels généraux de l’offre, de l’acceptation et de la contrepartie seront appliqués à la conduite des parties pour déterminer si, objectivement, il existe une intention de créer des relations juridiquement contraignantes.
Par conséquent, outre la difficulté de prévoir quand un tribunal déterminera qu’un covenant est un convenant positif, il peut maintenant être possible, dans un ensemble donné de faits, d’imposer une obligation d’exécution en faisant valoir qu’une obligation contractuelle a été créée en raison de la conduite des parties. Comment cela peut-il influencer l’évaluation d’un bien?
Notes en fin de texte
i Covenants courant avec un terrain, Évaluation immobilière au Canada, 2014 – Volume 58 – Tome 3
ii En Colombie-Britannique, l’article 219(1) de la Land Title Act, RSBC 1996, c. 250, prévoit une exception statutaire à la common law, mais cette exception n’est pas disponible entre deux entités privées.
Cet article est fourni pour susciter la discussion et porter à l’attention des praticiens certaines des difficultés que présente la loi. Il ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Toute question relative aux effets des covenants dans des circonstances particulières devrait être posée à des personnes de loi et à des évaluateurs professionnels.